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soit à une pareille manière d’être? Ne vaudrait-il pas mieux pour nous-mêmes que l’amirauté ne se fût jamais trouvée dans cette position ridicule et dangereuse à la fois ?

D’un autre côté, lorsque nous voyons l’amirauté aux prises avec quelqu’une de ces déconvenues où elle s’embarrasse presque périodiquement, nous voyons aussi en France la foule des gens honnêtes, mais peu éclairés, pour qui le patriotisme suprême consiste à dénigrer ses voisins ou ses adversaires possibles, s’empresser de tirer d’une situation qu’ils ne sont pas capables de bien apprécier les conclusions les plus erronées. Jugeant de ce qui est chez les autres par ce qui est chez eux, ils prennent l’amirauté pour l’expression vivante de la puissance maritime de l’Angleterre, ils croient à la décadence et à la faiblesse, ils conçoivent les idées les plus extravagantes.

La vérité cependant, c’est que l’Angleterre est toujours la plus grande puissance maritime du monde; c’est qu’il est absurde de vouloir estimer le degré de cette puissance sur les faits et gestes de l’amirauté, attendu que l’amirauté, telle qu’elle est aujourd’hui, n’est pas en Angleterre plus qu’un détail, plus qu’une fraction du budget, plus qu’un premier enjeu, plus qu’un cadre ou que l’avant-garde d’une armée qui, en cas de lutte sérieuse, trouverait dans la nation d’inépuisables ressources, s’il en est d’inépuisables sur la terre. En France, l’administration de la marine représente la beaucoup plus grande partie de ce que nous possédons de vaillant pour établir nos titres à être une puissance maritime; en Angleterre, la marine, ce n’est pas l’amirauté, c’est la nation presque tout entière.

Nous avons dit quelles sont les bases sur lesquelles repose la réalité de la puissance maritime; si nous appliquons ces principes à l’Angleterre, que trouverons-nous?

En matière de budget et d’argent, l’Angleterre possède les meilleures et les plus florissantes finances du monde. Nous n’en sommes plus sans doute à l’époque où l’on s’amusait à prédire chaque jour qu’écrasée sous le poids de sa dette, elle serait en banqueroute le lendemain. Probablement personne aujourd’hui ne partage plus cette erreur. Les faits en démontrent la fausseté d’une manière trop éclatante; ils prouvent trop que l’Angleterre est de tous les pays celui qui supporte le plus aisément la charge de sa dette publique. Nous avons vu ses consolidés, son 3 pour 100 atteindre et dépasser quelquefois le pair, et il se tient en moyenne au cours de 90 à 92. Notre 3 pour 100 ne s’est jamais élevé au-dessus de 86; pendant plusieurs années du gouvernement parlementaire, on l’a vu flotter aux environs de 80; aujourd’hui il se tient le plus ordinairement entre 68 et 70. Ce sont des faits qui n’ont pas besoin de commentaires.

Il n’est pas non plus besoin de dire que l’Angleterre est aussi une