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Nous en avons dit assez sans doute pour faire voir comment l’amirauté, en dépit du mérite des hommes qui composent son bureau, est un corps indolent, inerte, doué d’une force de consommation désordonnée et d’une puissance de production relativement petite, condamné par sa constitution même à l’imprévoyance et aux surprises, très peu capable en somme de maintenir l’ordre dans ses affaires. Un fait considérable à citer parmi tant d’autres qui pourraient motiver cette appréciation, c’est qu’avec un budget qui souvent est double du nôtre, la marine anglaise, gouvernée comme elle l’est par l’amirauté, n’a pas donné depuis cinquante ans seulement, comme produit matériel de ses efforts, des résultats très supérieurs à ceux qu’a obtenus chez nous le ministère de la marine. Le nombre brut de ses créations, comme navires, travaux hydrauliques, constructions de tout genre, est bien loin d’être en rapport avec la différence des ressources qui appartiennent à chacun des deux budgets. Au lieu du nombre, si nous prenons la valeur des études, le mérite des inventions, la part contributive de chacune des deux administrations aux progrès généraux de l’arme, la supériorité nous appartiendrait incontestablement, car nous avons beaucoup fait, et il nous serait difficile de citer ce que depuis un demi-siècle on doit à l’amirauté. Sa prévoyance, nous la trouvons sans cesse en défaut ; elle ne se tient pas même au courant de ce qui se fait à côté d’elle. Il y avait sept ans que nous avions abandonné la construction des vaisseaux à voiles, lorsqu’en 1851 la chambre des communes la força d’y renoncer à son tour. Il y avait quatre ans déjà que le parti était pris chez nous de ne plus mettre de vaisseaux à vapeur en chantier, lorsque tout à coup, mais un peu tard, l’amirauté, s’apercevant que nous en possédions cependant presque autant qu’elle, fit décider en 1859 ce que le discours de la reine, à l’ouverture du parlement, appelait la reconstruction de la flotte. Le moment était certes bien choisi, lorsqu’il était patent que depuis 1855 nous ne construisions plus de vaisseaux à vapeur, et que depuis un an déjà la Gloire était en vue sous sa cale de Toulon ! Encore a-t-il fallu attendre jusqu’en 1862, une autre période de sept ans, pour que l’amirauté, vaincue cette fois comme toujours par la chambre des communes, renonçât à son tour à construire des vaisseaux à vapeur ! Si ce n’est pas de l’imprévoyance et de l’incurie, il n’en est pas sur la terre. Pour ce qui est de l’ordre dans l’administration, nous rappellerons qu’en 1859 lord Clarence Paget démontrait à la chambre des communes qu’il disparaissait tous les ans dans les mains de l’amirauté plus d’un million de livres sterling, plus de 25 millions de francs, de l’emploi desquels il était absolument impossible de rendre compte, ou de trouver quelque part que ce fut la contre-valeur. Et tandis que lord Clarence Paget parlait ainsi,