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exclus. Non seulement ils en sont exclus, mais la jalousie des officiers militaires à leur égard a su se donner si large satisfaction qu’ils n’existent pas à l’état de corps. Il y a des individus qui remplissent telle ou telle fonction, mais dans l’exercice de leurs fonctions ils ne sont hiérarchisés entre eux que par la différence de leur solde ou par les nécessités absolues du service; ils ne forment pas de corps organisés, doués d’une vie propre, et possédant des emplois qui ne peuvent être occupés que par leurs membres. En tout et pour tout, ils sont sous la dépendance rigoureuse des officiers militaires, qui d’ailleurs fournissent la plupart des candidats aux places vacantes dans les bureaux, dans les ports ou dans les administrations. Autrefois il existait un corps d’ingénieurs des constructions navales qui avait été fondé par la reine Elisabeth; il a été complètement détruit par les officiers de vaisseau. On sait qu’en tout pays il existe toujours de grandes causes de rivalité et de discussion entre ces deux branches de la marine; en Angleterre, l’une a pu supprimer l’autre. Pour qu’il ne restât en quelque sorte aucune trace du vaincu, la bibliothèque même qu’il possédait à Deptford a été systématiquement dispersée dans tous les ports. Afin qu’il ne puisse pas renaître, la direction des constructions navales est toujours confiée à un officier militaire, mais à titre provisoire seulement et sans cesser d’appartenir au grand corps. Sir Robert Seppings, sir William Symonds, sir Baldwin Walker étaient des marins comme l’amiral Robinson, qui occupe aujourd’hui ce poste. D’ailleurs, comme si l’on eût craint que malgré toutes ces précautions l’ennemi vînt à ressusciter, il n’y a pas encore longtemps que le directeur des constructions navales, le surveyor, aujourd’hui le comptroller of the navy, n’avait pas le droit d’entretenir des rapports directs avec les ateliers des ports ; ses communications devaient toujours passer par l’intermédiaire de l’amirauté, qui ne recevait de lui que des pièces qualifiées officiellement de « requêtes. » Quant aux constructeurs mêmes des ports, si on ne leur marchandait pas trop l’argent, on les tenait vis-à-vis des officiers de vaisseau dans une position d’infériorité indigne du talent et des services de beaucoup d’entre eux. Aussi en est-il un certain nombre, et parmi les plus distingués, qui n’ont pas pu tenir dans la situation qui leur était faite. Citons par exemple M. Reed. dont le nom a souvent occupé le public dans ces derniers temps, et qui, après avoir été attaché au port de Portsmouth, est aujourd’hui le directeur du Mechanic’s Magazine, un des recueils les plus estimés de l’Angleterre, le secrétaire de la société des Naval architects, l’auteur d’un projet de navires cuirassés que l’amirauté vient d’être contrainte par la force de l’opinion de prendre en considération très sérieuse. Ce projet aurait-il même pu voir le jour, si l’auteur eût encore été l’un des masters-shipwrights de Portsmouth?