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vent la chose s’est faite, non pas sous la pression des actionnaires, mais à la demande même des conseils d’administration. Qu’étaient-ce cependant que les administrateurs de ces compagnies? A coup sûr, ils étaient du nombre de ceux que le grand Frédéric appelait de bons généraux, des hommes éminens dans les affaires, dans la finance ou dans l’industrie, des hommes capai)les, et qui n’avaient certainement aucun désir de voir diminuer leur position, car nous voyons que, dans ce qu’on appelle la féodalité industrielle de nos jours, on recherche le titre d’administrateur de telle ou telle compagnie avec autant d’ardeur que les titres de l’aristocratie nobiliaire d’autrefois. Qu’est-ce donc qui les a poussés ou qui les pousse dans cette voie, si ce n’est la conviction de l’impuissance d’un conseil comme directeur de l’action, et aussi le sentiment de la responsabilité qui pesait indirectement sur eux? Les faits sont là pour prouver que leur responsabilité légale est à peu près nulle; mais ils avaient presque tous une portion de leur fortune engagée dans l’entreprise à laquelle ils s’étaient associés; puis les capitaux sur lesquels ils pouvaient compter pour réaliser leur œuvre étaient limités, et enfin leur crédit était compromis, si l’affaire qu’ils avaient contribué à créer venait à tourner à mal.

Aucun de ces contre-poids qui ont ramené les conseils d’administration des grandes compagnies aux vrais principes n’existe dans la constitution actuelle du bureau de l’amirauté anglaise. On y entre en vertu du degré d’influence que l’on possède dans le parti politique auquel on appartient, on en sort parce que ce même parti a été battu sur telle ou telle question de finance, de politique étrangère ou de législation pénale; mais on ne sort du bureau de l’amirauté qu’avec une position agrandie. L’honneur d’en avoir fait partie suffit pour vous y faire rentrer, ou pour vous obtenir quelque commandement lucratif et important. C’est l’indemnité gracieuse que les vainqueurs des luttes parlementaires paient en général aux vaincus. De responsabilité, il n’en est d’aucune sorte, et, comme si tout conspirait pour qu’il n’en puisse pas exister, les opérations du bureau se liquident avec purge complète d’année en année sur les ressources d’un budget dont on n’a pas plus de souci une fois qu’il est consommé que s’il était tombé du ciel, au lieu d’être sorti des poches des contribuables. Les contribuables, c’est tout le monde, ou, pour mieux dire, ce n’est personne. Et qui donc s’embarrasse de savoir si le shilling qu’il porte au percepteur sera dépensé par la marine ou par l’armée, par la magistrature ou par la diplomatie? D’ailleurs, comme la moyenne d’existence des bureaux d’amirauté ne dépasse guère deux ans, on peut toujours dire, et l’on ne s’en fait pas faute, que, sur les deux budgets dont on devrait être responsable, il en est un qui était déjà