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de s’expliquer sur les motifs qui avaient déterminé sa conduite, eut allégué les conseils du prince, on contraignit celui-ci à se démettre de la position qu’il occupait. Dans les traditions des hommes d’état de la Grande-Bretagne, ce petit épisode est resté comme la preuve qu’il ne saurait être prudent de confier à une seule volonté tous les pouvoirs sur la marine. Par la force des choses, cette volonté pourrait avoir trop d’action et sur les affaires les plus importantes du pays et sur un trop grand nombre d’intérêts. Depuis lors, la charge de grand-amiral est restée en commission.

Nous ne condamnons pas absolument cette manière de voir, ni cette jalousie qui conduit un peuple aussi passionnément amoureux de sa liberté et de son self government à prendre toutes ses précautions pour faire en sorte qu’il ne soit confié à personne des pouvoirs qui pourraient devenir dangereux pour la chose publique. C’est un sentiment honorable et juste au fond, et qui, en retour des grands biens qu’il conserve, a sans doute le droit de se satisfaire au prix de quelques anomalies administratives; néanmoins cela ne prouve point que le bureau d’amirauté n’est pas, en tant que gouvernement de la marine, une des institutions les plus singulières de ce monde et le plus fatalement condamnées à consommer des ressources immenses pour arriver à des résultats comparativement médiocres.

Le grand Frédéric disait un jour qu’il y avait pour une armée quelque chose de pire qu’un mauvais général, c’étaient deux bons généraux. Il avait parfaitement raison, et ce qu’il appliquait à une armée peut s’appliquer au gouvernement de toutes choses : plus même elles sont considérables, et plus cela est vrai. Le pouvoir exécutif, dans quelque ordre de faits que ce soit, ne saurait être exercé utilement que par une seule intelligence ou par une seule volonté. Autrement il flotte dans l’impuissance, et il s’endort dans l’incurie, dans l’indolence où l’entretient le défaut absolu de responsabilité. C’est l’histoire de tous les siècles et de tous les peuples, de toutes les institutions où la puissance d’agir est partagée entre plusieurs mains. Notre époque a fourni à cet égard des enseignemens et des exemples plus instructifs qu’aucune autre. Je ne parle pas seulement du déplorable gouvernement du directoire ou de l’éphémère pentarchie qui nous mena en 1848 aux journées de juin. Notre temps a vu naître en effet, par toutes les contrées de l’Europe et de l’Amérique du Nord, une multitude de sociétés industrielles, financières ou commerciales, de compagnies de chemins de fer, de canaux, de navigation, de crédit public, etc., qui ont débuté toujours en s’organisant par les soins d’un conseil d’administration, et qui pour la plupart déjà ont fini par se donner un directeur, un administrateur délégué, un président, un gouverneur chargé des attributions réelles du pouvoir exécutif. Et ce qu’il y a de remarquable, c’est que le plus sou-