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qu’elle emploie sur sa flotte. Or ce qu’il faut avoir présent à l’esprit, c’est que les usines qui produisent ces admirables engins sont capables de produire tout ce que la marine militaire consomme d’objets de métal. Qui peut le plus peut le moins. Pour les ateliers qui fondent les cylindres, qui forgent les arbres de couche des machines de 1,000 chevaux ou les plaques des frégates cuirassées, ce serait presque un jeu de fondre et de forer les canons de tous les calibres, de forger les plus grosses ancres, etc. Ces travaux seraient presque indignes des intelligences qui dirigent ces grands ateliers et de l’outillage dont elles disposent; ce ne serait en réalité pour elles que des détails, mais des détails qu’elles produiraient en quantités immenses, et avec une rapidité dont une grande guerre pourrait seule donner la mesure.

Le mouvement qui entraîne à augmenter sans cesse l’emploi du fer dans la marine, à tel point déjà que l’on peut prévoir l’époque où les coques de presque tous les navires seront en fer, ce mouvement aide à l’évolution qui s’accomplit en créant chaque jour des rapports de plus en plus étroits entre la marine militaire et l’industrie, entre ce qui était jadis un monde à part et ce qui est aujourd’hui le monde ordinaire, entre la force guerrière et la force productrice des ateliers où se cultivent de préférence les arts de la paix. Tous, ou presque tous, ils pourraient devenir des machines de guerre d’une puissance incalculable; comme la laborieuse abeille qui est armée d’un dard acéré pour défendre son miel, ils se retourneraient avec une effrayante énergie contre celui qui viendrait les troubler dans la paix de leurs travaux. Les Russes en ont fait l’épreuve en 1855, et cependant ils n’étaient encore qu’au début de ce qui se préparait contre eux, lorsque déjà ils étaient forcés d’accepter les conditions de leurs adversaires. Malgré le nombre et la vaillance de leurs troupes, qui combattaient pourtant sur le sol national, ils ont été accablés par l’immensité du matériel que les ateliers de la France et de l’Angleterre se sont mis à vomir si vite et si loin contre eux. Il leur est arrivé ce qui arrive aux États-Unis. Non moins braves que leurs ennemis, peut-être même ayant un esprit militaire plus distingué et se battant chez eux pour leurs foyers, les confédérés sont forcés de reculer partout devant les armées du nord, devant ses canonnières, devant la supériorité de son armement, devant les conséquences du blocus qui prive les états du sud de tout moyen de ravitaillement. Ils apprennent par l’expérience qu’on peut être un pays riche et se trouver sans force lorsqu’on n’a pas derrière soi une industrie capable d’armer, d’équiper, d’habiller et de nourrir ses soldats.

Aussi, quand on essaie de faire des calculs de proportions sur la puissance des états, sur celle de leurs marines surtout, ne faut-il