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En présence de tant d’horreurs, M. Avé-Lallemant ne pouvait pas rester inactif, et il résolut d’utiliser la haute considération que lui avaient procurée dix-sept années de services rendus dans les hôpitaux de Rio-Janeiro. Il écrivit à l’empereur du Brésil pour lui exposer la triste situation de ses compatriotes du Mucury, et, laissant de côté toutes ses préoccupations de voyageur et de savant, il n’eut plus d’autre soin que de rendre l’espoir et la santé aux malades des colonies. Pendant plus d’un mois, il ne cessa de parcourir les campemens, distribuant de la nourriture aux faméliques et des remèdes aux patiens, faisant enterrer décemment les cadavres, promettant la liberté aux émigrans qui de désespoir voulaient s’enfuir dans la forêt au risque de mourir de faim ou d’être égorgés par les Botocudos. Et ses efforts ne furent pas complétement vains. Le 2 mars 1859, un vapeur de l’état, envoyé spécialement par l’empereur avec ordre de prendre à son bord « les malades, les malheureux et les désespérés » de la colonie, passait la barre du fleuve Mucury, et M. Avé-Lallemant pouvait déposer dans l’entre-pont du navire un premier chargement de quatre-vingt-sept patiens à destination de l’hôpital de Rio-Janeiro.

L’émotion fut grande dans la capitale lorsqu’on vit revenir, couverts de plaies et de pustules, pâles, sans regard, ces jeunes émigrans qui étaient arrivés d’Europe pleins de force et de santé quelques mois auparavant. Parmi les malades, plusieurs étaient à l’agonie : l’un expirait au moment même où la felouque de débarquement allait toucher la rive, un autre était mort pendant la traversée. Les négocians réunis en ce moment au palais de la Bourse se précipitèrent vers le quai pour aider à transporter les corps vivans et les cadavres. Le consul de France, profondément ému, se jeta dans les bras de son ancien ami, M. Avé-Lallemant, pour le remercier. Tous les assistans témoignaient de la plus vive indignation. Quelques jours après, une nouvelle cargaison, comprenant également deux cadavres, vint redoubler le sentiment de réprobation générale contre le trafic de chair humaine. M. Avé-Lallemant s’empressa de faire son rapport verbal à l’empereur, alla visiter ses amis influens, et de toutes parts reçut l’assurance que de pareilles horreurs ne seraient plus tolérées. Plein de joie, il pensa que rien désormais ne devait l’empêcher de continuer son voyage d’exploration vers le nord. Ce fut une grande faute. A peine était-il parti que le directeur de la colonie publia une longue justification de sa conduite; en même temps le commissaire que l’empereur avait envoyé sur le Mucury se mourait d’une fièvre paludéenne contractée sur ce fleuve insalubre[1], et son

  1. Des bruits très répandus chez les Allemands du Brésil attribuent la mort du commissaire à une cause plus grave.