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Rio-Janeiro. On leur assigna près de la résidence impériale de Pétropolis des vallées boisées, mais peu fertiles, que dominent des pentes abruptes et qu’une chaîne de montagnes escarpées sépare de la baie. Les colons se mirent courageusement à l’ouvrage sur ces hauteurs, qui ont du moins le mérite de la salubrité; mais c’est probablement au voisinage du palais d’été de l’empereur qu’ils durent de ne pas être dispersés par la misère. On leur livra des terres à bas prix, on leur avança des sommes considérables avec facilité de remboursement, on remplit tous les engagemens qu’on avait pris envers eux; pour faciliter le transport de leurs denrées, on leur fit construire une belle route qui contourne élégamment les corniches des montagnes, et qu’on a longtemps désignée sous le nom de Simplon de l’Amérique. Sur les 3,016 colons qui habitaient Pétropolis en 1859, la plupart étaient encore de simples terrassiers, cependant on ne comptait pas un seul misérable, et tous les enfans, sans exception, fréquentaient les écoles. C’est là un état de choses rassurant; mais il ne faut pas oublier que ces Allemands forment à Pétropolis la colonie privilégiée par excellence, celle qui a profité le plus largement des munificences du budget.

En général, les étrangers jugent de la colonisation au Brésil par l’exemple de Pétropolis; mais, pour se rendre compte du système de recrutement adopté par les planteurs, il faut aller visiter l’une des cinquante ou soixante colonies fondées loin de la capitale. Le célèbre voyageur et naturaliste suisse Tschudi, envoyé par son gouvernement comme plénipotentiaire, afin d’étudier le sort de ses compatriotes émigrés au Brésil, ne nous fait que trop bien apprécier les douleurs des Européens engagés. Pendant un voyage de plusieurs mois entrepris à travers les plantations, il a pu, en dépit du mauvais vouloir des propriétaires d’esclaves, constater des faits navrans, et son rapport officiel du 9 octobre 1860, dans lequel il les a consignés avec une noble modération, est un monument historique désormais indiscutable. Plus tard, M. Avé-Lallemant, chargé à son tour d’une mission sinon officielle, du moins officieuse, a parcouru les colonies allemandes du Brésil, et nous a laissé de plusieurs d’entre elles des descriptions vraiment effrayantes. Les établissemens du Mucury, qui ont reçu le plus grand nombre de travailleurs, sont précisément ceux qu’il trouva dans l’état le plus déplorable. Il est douloureux de penser que la civilisation inaugure ainsi par d’horribles drames ses premiers pas dans la solitude.

Le Mucury est un fleuve de la province de Porto-Seguro qui se jette dans l’Atlantique vers le 18e degré de latitude. Il est connu par les géographes comme la principale artère de la région qu’habitent les Botocudos, ces Indiens à la peau d’un blanc sale, aux jambes grêles, au ventre énorme, aux yeux sans regard, aux lèvres garnies