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tés nationaux utilisent le travail esclave. Ces chiffres prouvent jusqu’à l’évidence que la population du Brésil se compose uniquement de planteurs, de noirs asservis et d’une classe intermédiaire de paresseux qui ne savent pas acquérir une vraie liberté par le travail.

Telles sont les conséquences économiques qui découlent naturellement de l’esclavage; mais quelles en sont les conséquences sociales? Nous savons qu’autrefois les planteurs craignaient à bon droit une guerre servile, et que cette crainte même leur a donné une organisation politique plus compacte. Ils redoutaient surtout les nègres Minas, cette race fière que l’esclavage avilit difficilement, qui garde avec un soin jaloux les habitudes, les mœurs, la religion et jusqu’à l’idiome du pays natal. Reliés les uns aux autres par une espèce de franc-maçonnerie qui rappelle le culte du Vaudoux chez les Haïtiens, les Minas étaient les principaux organisateurs des révoltes qui ont éclaté jadis sur divers points du Brésil. Pendant le XVIIe siècle, ils avaient même réussi à fonder, dans la province de Pernambuco, la puissante république de Palmarès, qui résista trente années aux attaques des blancs, et ne succomba que devant une armée de dix mille hommes; mais depuis l’abolition de la traite les farouches Minas ne peuvent plus faire de recrues parmi leurs frères débarqués. En outre un grand nombre d’entre eux conquièrent la liberté à force d’intelligence et de travail, et prennent place à côté des hommes de couleur depuis longtemps affranchis. La guerre servile proprement dite devient donc chaque jour moins probable; on pourrait à plus juste titre redouter, principalement dans la province de Bahia, une lutte entre les blancs et les hommes de couleur libres.

Quoi qu’il en soit, l’influence morale de l’esclavage au Brésil est la même que dans tous les autres pays où la servitude des noirs est la pierre angulaire de la société. Sans me permettre de juger ici la nation brésilienne d’après les récits contradictoires des voyageurs, je puis dire que l’esclavage a certainement déshonoré le travail libre et transformé en titre de noblesse cette oisiveté qu’en d’autres pays on appelle « la mère de tous les vices. » La connaissance de la nature humaine ne suffit-elle pas aussi pour faire croire à cette âpreté d’ambition, à ce désir immodéré, à cet amour des titres et du faste insolent qu’on reproche généralement aux Brésiliens enrichis par le travail de leurs noirs? De même l’ignorance générale au Brésil n’a-t-elle pas une explication naturelle dans ce mépris que la classe dominante professe pour le travail des esclaves[1]? L’état d’infériorité dans lequel on tient la femme ne provient-il pas des habitudes de despote contractées par le mari? La colère, la ven-

  1. En 1857, le nombre des élèves qui recevaient une instruction quelconque dans les écoles et les lycées de toute sorte s’élevait à 88,707 : c’est la proportion d’un élève seulement par 90 habitans.