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nent après eux une démoralisation d’autant plus grande que la familiarité semblait plus intime entre le maître et l’esclave. Les joyeux éclats de rire des nègres et des négresses retentissent souvent dans les carrefours de Bahia et de Rio-Janeiro; mais si l’on passe devant les maisons de correction, où des fouetteurs aux gages de l’état fustigent l’esclave à la simple requête du propriétaire, on entend des hurlemens de douleur faire écho à la bruyante hilarité des rues.

Ce fut l’Angleterre qui donna au Brésil le premier avertissement sérieux sur la question de l’esclavage en concluant avec cet empire la convention de 1825 pour l’abolition de la traite des nègres. La convention ne fut pas observée, et la traite continua sans interruption en dépit des croisières anglaises ; avec l’aide de leurs complices les armateurs américains, les planteurs du Brésil achetaient de légers navires, admirablement taillés pour la marche, qui, sous le prétexte d’un commerce légitime, se rendaient sur la côte de Guinée, se cachaient dans les baies et les marigots pour prendre leur chargement de bois d’ébène, et, quand le moment favorable était venu, s’échappaient pour franchir en quelques jours cette étroite partie de l’Atlantique qui sépare l’Afrique du Brésil. Protégés par la complicité des autorités locales, les négriers n’avaient plus qu’à déposer leur cargaison dans quelque havre de la côte du Brésil équatorial. Les croiseurs anglais, exaspérés par cette insigne violation du traité, pourchassaient les négriers dans les eaux brésiliennes, forçaient l’entrée des ports, allaient même jusqu’à faire usage de leurs canons pour réduire au silence les forteresses de la côte[1]. En 1845, l’Angleterre revendiqua formellement par le bill Aberdeen le droit de saisir les embarcations suspectes dans les eaux du Brésil ; mais en dépit de cette mesure énergique, qui constituait presque un état d’hostilité entre les deux pays, le trafic de chair humaine ne cessa de prendre chaque année des proportions plus considérables. La certitude de recevoir sur les marchés brésiliens la somme de 400 francs pour chaque tête de nègre achetée 100 francs sur la côte de Guinée excitait les appétits immondes de nombreux négriers, et l’on importait tous les ans 50, 60 et même 80,000 esclaves[2]. Enfin le gouvernement brésilien comprit son devoir, et vers la fin de 1850 il fit passer une loi qui assimile l’importation des nègres à la piraterie. Les autorités provinciales bravèrent longtemps cette me-

  1. On voit encore les boulets anglais sur les murailles du port de Nossa Senhora des Prazeres, à l’entrée du port de Paranagua.
  2. Un document émané du foreign office fixe à 325,615 le nombre des Africains transportés au Brésil au su des croiseurs anglais pendant la décade de 1842 à 1851. Et combien de négriers ont échappé inaperçus ! Il est probable que les plantations brésiliennes ont reçu depuis 1826, en violation des traités, plus de 1,500,000 nègres. En 1857, le baron de Maua avoua devant ses collègues du congrès que le Brésil avait importé jusqu’en 1851 environ 54,000 Africains par an. Aucune protestation ne se fit entendre.