Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 40.djvu/385

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vaient écarter soigneusement pour ne pas se déchirer, des flancs au-dessous desquelles ils étaient obligés de se glisser, des troncs renversés qu’il fallait contourner ou franchir péniblement. Malgré tous leurs efforts, ils ne purent jamais fournir une marche de plus de 3 ou 4 kilomètres par jour. Le huitième jour, lorsqu’ils croyaient se trouver à quelques centaines de mètres à peine des pâturages et se félicitaient déjà de leur succès, ils virent se dresser devant eux une muraille de rochers à pic, infranchissable en apparence. M. Avé-Lallemant grimpa jusqu’à la cime d’un arbre élevé; mais, par-dessus la mer de feuillage dont l’immense étendue lui donna le vertige, il ne put découvrir aucune fissure qui permît d’atteindre les campos. Il fallut revenir en arrière, descendre de branche en branche la pente rapide d’un étroit ravin, et monter à travers un fourré presque impénétrable sur une terrasse doucement inclinée. La traversée de ce ravin occupa plusieurs jours, et sembla d’autant plus pénible aux voyageurs qu’ils avaient dû prudemment se mettre à la ration. Le quatorzième jour, les provisions manquèrent tout à fait, et lorsqu’on atteignit enfin le plateau tant désiré où les vastes pâturages alternaient avec les bosquets de sombres et majestueux araucarias, le repas de la journée s’était composé de trois perroquets partagés en douze morceaux.

Tous les voyageurs qui veulent se frayer une picada à travers les forêts inviolées rencontrent des obstacles analogues, et lorsqu’il s’agit de transformer ces sentiers à peine indiqués en chemins praticables aux mulets ou même en routes carrossables, les difficultés sont centuplées. Heureusement les grandes entreprises, qui doivent coûter de fortes sommes, sont précisément celles qu’on s’occupe le plus soigneusement de mener à bonne fin. On cite de nombreux exemples de routes ordinaires ouvertes à grands frais, puis abandonnées aux ronces et aux flancs; mais tous les chemins de fer commencés se poursuivent, soit que les Brésiliens tiennent à honneur de posséder aussi leur réseau de voies ferrées, comme les États-Unis et les pays d’Europe, soit plutôt parce qu’ils ont fait appel aux capitalistes anglais, et que ceux-ci mettent leur persévérance britannique au service de l’œuvre commencée. Le premier chemin de fer exécuté au Brésil réunissait la baie de Rio-Janeiro à la base des montagnes de Pétropolis : pendant longtemps, il ne fut guère qu’un coûteux joujou de cinq milles de long; mais aujourd’hui les ingénieurs ont pour seul but de surmonter l’obstacle que forment la chaîne ou les terrasses côtières, et de mettre en communication les plateaux cultivés de l’intérieur avec les ports d’embarquement. Ainsi une voie de fer part de Pernambuco et se dirige vers le San-Francisco pour l’atteindre en amont de la cataracte de Paulo-Alfonso et se rattacher à une ligue de navigation intérieure. Un autre chemin