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difficiles; tout le commerce doit se faire au moyen de mulets de charge.

L’ouverture de routes entre les villes maritimes et celles de l’intérieur est indispensable à d’autres points de vue que celui du trafic. Au premier abord, le Brésil semble un des empires les plus compactes de la terre; cependant il n’est guère qu’une agglomération de territoires presque complètement distincts. L’immense bassin de l’Amazone est un domaine à part que la navigation à vapeur rattache aux provinces du littoral; la mer seule permet d’atteindre ce pays, que l’on pourrait croire réuni au reste du Brésil par la double artère du Tocantins et de l’Araguay. Ainsi une escadrille ennemie stationnant devant l’estuaire de l’Amazone suffirait pour couper le Brésil en deux moitiés presque aussi distinctes l’une de l’autre que la France l’est de l’Algérie. De même, les districts de Cuyaba et de Matto-Grosso, que pourrait tôt ou tard menacer la Bolivie, sont séparés de la capitale par les montagnes, les forêts et les Indiens, si bien qu’une année entière s’écoule entre le départ d’une expédition envoyée dans ces provinces de l’ouest et son retour à Rio-Janeiro. Le Brésil, malgré l’apparente cohésion de ses diverses parties, se compose donc en réalité de trois contrées juxtaposées, mais distinctes : les provinces du littoral, reliées les unes aux autres par la navigation côtière, le bassin de l’Amazone, enfin les régions occidentales, arrosées par le Paranà, le Paraguay et leurs divers affluens. Un pareil état de choses prouve l’importance que doit avoir la question des voies de communication aux yeux de tous les Brésiliens désireux d’assurer à jamais l’intégrité de leur patrie.

C’est une œuvre bien difficile que la construction de routes dans un pays si vaste et si faiblement peuplé, surtout lorsque la majorité des habitans valides tient la paresse en grand honneur. Quelques-unes des pages les plus dramatiques du livre de M. Avé-Lallemant sont consacrées à la description d’un voyage qu’il entreprit avec un ingénieur de ses amis pour se rendre de la colonie de Donna-Francisca aux pâturages du plateau de Corityba. Ils partirent accompagnés d’une dizaine d’hommes vigoureux qui portaient leurs provisions, et devaient leur frayer un chemin dans la forêt à coups de sabre et de hache. Ils se promettaient d’arriver en huit jours, car le plateau s’élève de 1,000 mètres à peine au-dessus de la mer et n’est éloigné de la colonie que de 35 kilomètres à vol d’oiseau. Guidés par la boussole et par les souvenirs de l’ingénieur, qui en était à son second voyage, ils croyaient n’avoir à courir aucun danger, et c’est avec une sorte de joie triomphante qu’ils commencèrent le percement de leur picada à travers les solitudes sacrées de la forêt; mais les difficultés de la route calmèrent bientôt leur héroïsme juvénile. A chaque pas, ils rencontraient des branches épineuses, qu’ils de-