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Le gouvernement hellénique n’était pas sans inquiétude sur le résultat de cette enquête, qui allait s’ouvrir dans un moment d’irritabilité mutuelle, et que devait diriger un homme dont les précédons ne témoignaient pas précisément la bienveillance. On connaissait déjà de vieille date le caractère parfaitement honorable de sir Th. Wyse, on savait que le défenseur des droits de Pacifico voulait être avant tout consciencieux et juste ; mais on craignait que la rigueur de ses principes constitutionnels et la fougue de son caractère, comme aussi ses préventions contre la cour, où il n’était pas aimé, ne l’entraînassent vers des conclusions inflexibles. On comptait bien sur la modération courtoise et conciliante du ministre de France et sur les favorables dispositions de son collègue de Russie ; mais on éprouvait une sorte de frayeur instinctive en songeant à la gravité des révélations qu’il faudrait faire et des remontrances qu’il faudrait accepter. « Le vrai sage, a dit un moraliste ancien, couvre de la main gauche les plaies de son cœur, et lutte avec la droite contre les difficultés de la vie. » Ce fut assurément une grande épreuve pour le gouvernement du roi Othon que cette investigation minutieuse à laquelle il était soumis par ses bienfaiteurs offensés, et nous devons lui rendre cette justice, que, s’il a su la subir avec dignité et courage, il n’a rien épargné .ion plus pour cacher la profondeur des plaies saignantes de son administration. L’inébranlable volonté de M. Wyse, la persévérance éclairée de MM. de Montherot et Ozerof[1], avant tout le zèle infatigable et la fine pénétration du marquis de Plœuc[2], qui assistait notre légation, triomphèrent en partie de ces répugnances si facilement explicables. — Sans sortir de ses attributions financières, la commission a dû, pour les exercer pleinement, faire porter son examen sur la plupart des branches de l’administration hellénique, le ministère des finances, en Grèce comme ailleurs, ayant pied dans tous les autres départemens. Elle n’a pas obtenu sans doute tous les documens qu’elle a demandés, et qui eussent éclairé ses conclusions en facilitant son contrôle ; on peut même supposer, sans trop calomnier le ministère grec, que bon nombre des plus compromettans ont dû être dissimulés avec soin.

  1. M. Ozerof remplit maintenant les fonctions de ministre de Russie à Berne ; M. Wyse est mort dernièrement à Athènes. M. de Montherot, lui aussi, n’est plus. Il a succombé à Carlsruhe, où il représentait la France, aux atteintes d’une maladie cruelle qui l’a emporté à la fleur de son âge. Nous avons eu l’honneur de servir sous les ordres de cet homme excellent et distingué, et nous saisissons avec empressement l’occasion de rendre un sincère hommage aux nobles et éminentes qualités qui faisaient de lui un de nos meilleurs diplomates, en même temps qu’elles m’ont rendu son amitié si précieuse et sa mémoire si chère.
  2. On sait que M. le marquis de Plœuc, inspecteur-général des finances, a été chargé depuis par le gouvernement français de remplir auprès de la Porte-Ottomane une mission financière importante.