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tard, le traité d’Andrinople, qu’un général victorieux signa en frémissant au seuil même du sérail, stipula seulement la vassalité de la Grèce sous la protection du tsar. Puis il fallut encore faire un pas en arrière devant l’intervention des puissances occidentales, et on reconnut avec elles l’indépendance hellénique dans l’espoir qu’on pourrait un jour tout attendre du concours intéressé et reconnaissant de ses coreligionnaires affranchis.

Autour de ces trois influences, dont la rivalité plus ou moins chevaleresque a délivré la Grèce du joug ottoman, sont venus se grouper trois partis nationaux, le parti français, l’anglais et le russe. Les hommes qui se sont ainsi enrôlés sous la bannière des puissances ne partagent pas assurément leurs méfiances mutuelles et n’ont pas entendu s’associer pleinement à leurs vues particulières. En général, ils ont voulu s’assurer des protecteurs qui appuyassent leurs prétentions ambitieuses, et ils ont eu le soin de mesurer leur dévouement à la faveur dont ils jouissaient auprès des légations étrangères. Il s’est trouvé cependant parmi eux de vrais patriotes, dont les convictions, sincèrement sympathiques au gouvernement qui les patronnait, ont servi en même temps leur patrie avec intelligence et avec zèle. Coletti, Mavrocordatos, Canaris, Michel Soutzo, Metaxa, Zographos, d’autres encore, ont fait preuve des talens politiques qui distinguent les véritables hommes d’état, ou au moins des vertus qui font les bons citoyens, et ce serait les traiter avec une injuste rigueur que de les confondre parmi les intrigans qui ont déserté leur drapeau dès qu’il ne les a plus conduits sûrement aux emplois et aux honneurs. Les partis anglais et français n’ont jamais eu ni l’importance ni la popularité du parti russe, qui s’est fait l’apôtre de la grande idée y et qui a pris pour auxiliaire la communauté des intérêts et des croyances. La Grèce, éclairée et intelligente, commence à moins aimer la Russie depuis qu’elle a vu clair dans sa politique; mais il est une tradition populaire à laquelle les simples habitans des campagnes sont restés fidèles : c’est que le nord est habité par une nation à la blonde chevelure qui porte le nom de Ros, et que cette nation, orthodoxe comme la race hellénique, détruira un jour l’empire ottoman.

Le gouvernement du roi Othon n’avait donc pas seulement à combattre les graves désordres et les effrayans symptômes dont la société grecque était atteinte; il fallait encore qu’il s’ingéniât, tout en ménageant sa propre dignité, à plaire aux trois puissances, dont chacune avait à suivre, en protégeant la Grèce affranchie, sa politique particulière, et qu’il satisfît à tour de rôle, dans une certaine mesure, les exigences des personnages influens qui s’étaient placés, par conviction ou par convoitise, sous leur puissant patronage, c’est-à-dire qu’au début même de sa laborieuse mission il se trouvait en