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embarras les plus graves et des plus imminens dangers. Le roi Othon avait déjà reçu à Munich l’expression des vœux du peuple grec et l’hommage de sa fidélité. Quand il débarqua sur la plage de Nauplie, il y fut salué par les explosions de cette joie expansive et follement bruyante dont les peuples du midi sont si volontiers prodigues. Déjà pourtant il ne se faisait illusion ni sur les misères profondes que cachaient pour un jour ces habits et ces cris de fête, ni sur l’austérité des devoirs que lui imposait sa royale mission. « Hellènes, disait-il à ses sujets dans une proclamation que fit immédiatement publier la régence[1], vous vous êtes montrés, par votre courage, les dignes descendans de vos ancêtres; mais jusqu’ici vous n’avez pu recueillir le prix de vos glorieux efforts. Vos champs sont incultes, votre industrie à peine naissante, votre commerce entièrement paralysé. En vain les arts et les sciences attendaient le moment où, sous l’égide de la paix, ils croyaient retrouver leur ancienne patrie; le despotisme n’a été remplacé que par l’anarchie qui pèse sur vous comme un horrible fléau. Ce que l’amour de la patrie vous avait conquis par un noble élan, la discorde et le plus honteux égoïsme vous l’ont ravi. Mettre un terme à vos maux, à une guerre civile qui consume vainement vos facultés les plus brillantes, concentrer désormais vos efforts vers un seul but, celui de la prospérité, du bonheur et de la gloire de votre patrie, devenue désormais la mienne, telle est la tâche pénible, mais glorieuse, que je me suis imposée. Je lui sacrifie une existence douce et heureuse au sein du pays chéri de mes ancêtres, pénétré que je suis des sentimens qui animaient mon auguste père lorsque, le premier parmi les souverains, il vous tendait une main secourable aux jours de votre lutte héroïque... Puisse la divine Providence bénir nos efforts réunis et faire refleurir avec un nouvel éclat ce beau pays, dont le sol recouvre les cendres des plus grands hommes et des plus grands citoyens, dont les souvenirs rappellent les plus belles époques de l’histoire, et dont les habitans ont récemment prouvé aux contemporains que l’héroïsme et les sentimens élevés de leurs immortels aïeux ne sont point éteints dans leurs cœurs! »

Ce mélange de paternelle sévérité, de noble et touchante franchise, ne peut être considéré sans doute comme un témoignage de grande habileté politique. Il eût été sage de parler avec beaucoup d’indulgence et de mesure à une nation d’autant plus irritable que ses plaies étaient plus saignantes, et qu’elle croyait assurément faire grand honneur à la maison de Bavière en se donnant à elle. C’eût été faire preuve de prudence et de tact que de ménager tant de susceptibilités rivales, tant de consciences troublées, tant d’intentions

  1. À cette époque, le roi Othon était mineur.