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vint au maire de Cantorbéry, qui, au moment où Charles et Buckingham changeaient de chevaux à la poste, les fit sommer de se rendre chez lui. Buckingham, en entrant, le tira à part, ôta sa barbe et se nomma, disant qu’il allait, comme grand-amiral, inspecter en secret l’état de la flotte. Selon d’autres, ce fut le maire de Douvres qui, sur le soupçon du duel projeté, fit appeler devant lui les deux voyageurs. Un postillon qui les suivait avec leur bagage leur donna à entendre qu’il les reconnaissait; ils le traitèrent bien, et il se tut. Ils trouvèrent à Douvres Cottington et Porter, s’embarquèrent le lendemain, à six heures du matin, en laissant là leurs fausses barbes, et arrivèrent vers deux heures de l’après-midi à Boulogne, d’où ils repartirent aussitôt pour Paris. A quelques lieues de la ville, et en changeant de chevaux, ils rencontrèrent deux voyageurs allemands qui revenaient d’Angleterre, où ils avaient vu plusieurs fois la cour à New-Market, et qui dirent à leur écuyer, Richard Graham : « Certainement c’est avec le prince de Galles et le marquis de Buckingham que vous courez la poste. » Graham les en dissuada de son mieux, et les deux Allemands n’insistèrent pas, tout en disant que ce qu’il y avait de plus difficile au monde, c’était de n’en pas croire ses yeux. Le 3 mars, toujours sur le point d’être découverts, Charles et Buckingham arrivèrent à Paris.

On était précisément dans les derniers jours du carnaval et au milieu des plus brillantes fêtes de la cour; la jeune reine, Anne d’Autriche, devait danser, le surlendemain 5 mars, dans un grand ballet allégorique où Junon, entourée des divinités de l’Olympe, venait s’humilier devant Marie de Médicis et Anne, en disant :

Je ne suis plus cette Junon
Pleine de gloire et de renom;
Pour deux grandes princesses
Je perds ma royauté ;
L’une a fait le plus grand des rois;
L’autre le tient dessous ses lois.
Pour vous, grandes princesses,
Je perds ma royauté.


Charles et Buckingham, sans se découvrir, sans aller voir l’ambassadeur d’Angleterre à Paris, lord Herbert de Cherbury, se firent présenter, comme deux gentilshommes anglais de passage, au duc de Montbazon, qui présidait aux fêtes royales, et s’étant, au lieu de barbes postiches, affublés des grandes perruques à la mode, ils assistèrent d’abord au dîner de la reine-mère, puis à la représentation du ballet, où dansa en effet Anne d’Autriche, et où sa belle-sœur, la troisième fille de Henri IV, la princesse Henriette-Marie, âgée alors de quatorze ans, se trouvait à côté de sa mère. On a dit