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chose très préjudiciable à la pureté de notre religion, aujourd’hui seule vivante en Espagne. La quatrième, c’est que les rois d’Angleterre, comme on sait, tiennent le divorce pour permis, et le mettent en pratique quand leurs femmes ne leur donnent pas d’enfans. Le saint-père ajouta que la liberté de conscience, tacitement convenue, avait si peu de valeur, qu’il n’y avait nul compte à en tenir dans l’affaire.

« Que Dieu garde votre majesté! »


Alors commença à Madrid, de la part de Philippe III et autour de lui, une série de consultations et d’hésitations politiques et religieuses où se révélèrent l’incapacité et la faiblesse de ce gouvernement, naguère si actif et si puissant chez lui et dans toute l’Europe. Les ministres, le conseil d’état, une assemblée de théologiens présidée par l’archevêque de Tolède, le confesseur du roi, des moines réputés savans ou influens, les divers diplomates qui avaient été employés dans les relations de l’Espagne avec l’Angleterre, furent successivement appelés à délibérer sur la négociation proposée et à donner à Philippe III leur avis[1]. Contre ce qu’on serait tenté de présumer, les grands seigneurs laïques furent les plus timides et les théologiens espagnols les plus disposés à conseiller le mariage anglais; mais ils étaient tous plus préoccupés d’éluder la responsabilité qu’on leur imposait en les consultant que de résoudre la question. Les uns se montraient inquiets que le roi d’Angleterre, rebuté, ne se retournât vers la France ; les autres témoignaient un vif désir de délivrer les catholiques anglais des lois iniques qui pesaient sur eux. Au fond de leur âme, la plupart regardaient l’union de l’infante avec le prince de Galles comme désirable pour l’Espagne et même pour l’église; mais personne n’osait conclure nettement pour ou contre une solution positive : tous avançaient et reculaient tour à tour devant les difficultés de l’affaire et les périls de leur propre avis. Nulle grandeur, nulle fermeté de pensée et de volonté n’apparaissent dans les documens où sont consignées ces diverses délibérations. Malgré la fierté persistante du caractère espagnol, l’absence de toute liberté politique et le poids du pouvoir absolu du roi et du pape avaient abaissé les esprits et énervé les courages. En vain une grande question d’intérêt public et de conduite royale était livrée à leur examen; il y avait dans tous les ordres et tous les personnages éminens de l’état une invincible impuissance à se former une opinion et à prendre un parti.

  1. J’ai, parmi les documens tirés des archives de Simancas, une délibération d’une junte de théologiens, présidée par l’archevêque de Tolède, en date du 21 septembre 1614, et deux délibérations du conseil d’état d’Espagne, en date des 12 août et 10 septembre 1614.