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à Arles. Le plan fut arrêté, secrètement, et l’exécution se préparait, lorsque Stilicon se jeta en travers avec le mépris d’un soldat et l’indignation d’un vrai Romain. Claudien, qui nous peint cette scène sans rien dissimuler, nous rapporte au moins le sens des paroles échappées au régent dans sa généreuse colère. On avait fait sonner bien haut le danger des femmes et des enfans exposés aux outrages de l’ennemi : «Mais moi, s’écria-t-il, suis-je donc un homme dénaturé? N’ai-je pas aussi une femme, des enfans, qui me sont plus chers que tout au monde, ou plutôt qui sont ma vie elle-même? Eh bien! ils resteront près de moi, je les confie à Rome, quoi qu’il arrive : vainqueurs ou vaincus, nous ne nous quitterons point. » Ce projet de départ ne lui semblait pas seulement une lâcheté, mais une trahison. «Quoi! disait-il, on oserait priver la patrie des bras qui la protègent! L’empereur commanderait la désertion de nos légions! Il abandonnerait la terre sacrée du Latium pour aller quêter un asile aux bords de la Saône ! On verrait (quel spectacle!) le siège de l’empire romain près du Rhône, et Rome aux mains des Barbares! Et cet empire sans tête, vous croyez qu’il pourrait subsister! Non, non, les lâches sanglots et les vœux superflus ne calment point la tempête; les gémissemens des matelots ne sauvent point le vaisseau qui va périr... Mais reprenez courage, que tous les bras agissent ensemble, que l’équipage se réunisse au pilote dans un commun effort, et nous sommes sauvés : aux voiles! aux cordages! aux mâts! Point de désertion ni de discorde! Osons combattre, nous serons vainqueurs. Ce n’est pas la première fois que les Cimbres et les Teutons auront engraissé les champs de la Ligurie. » L’attitude de Stilicon effraya sans doute, autant que ses paroles, le pupille et les conseillers du pupille; les instigateurs de fuite se turent, et, suivant l’expression du poète historien de la scène, « l’empereur resta comme un otage des destinées de l’Italie. »

Cependant Alaric, ayant renouvelé son armée, s’était mis en marche par la vallée de la Save, afin d’atteindre l’Italie avant l’arrivée des grands froids, car on était alors à la fin de l’automne. Le chemin qu’il suivait était la route d’étapes des légions de Sirmium à Aquilée, ligne principale de communication entre Constantinople et Rome : elle passait par les villes d’Emone et de Nauport, aujourd’hui Laybach et Ober-Laybach, pour aboutir au pied méridional des Alpes dans les prairies de l’Isonzo. Avec la guerre de Rhétie, qui se prolongeait, Stilicon ne pouvait se porter au-devant d’Alaric, et l’attendre sur le grand champ de bataille des Alpes juliennes, aux bords de la Rivière-Froide : une partie de son armée était absente, et il ne voulait pas laisser derrière lui Milan exposé à un coup de main. Par une de ces décisions rapides qui s’alliaient dans son