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« En l’an 1611, l’ambassadeur anglais, qui vint ici, nous entretint d’un mariage entre l’infante doña Anna, ma fille aînée, et le prince de Galles; il lui fut répondu et écrit en Angleterre ce que vous verrez dans la relation ci-jointe de ce qui se passa à ce sujet[1], et depuis lors on ne parla plus de l’affaire. Maintenant don Diego Sarmiento de Acuña m’écrit de Londres, en date du 9 du mois dernier, qu’il conviendrait fort de ne pas faire perdre au roi d’Angleterre tout espoir de ce traité, afin d’éviter de nouvelles inquiétudes, et qu’ainsi il serait bon de suivre activement la négociation pour le mariage du prince de Galles avec ma fille doña Maria, dont l’âge laisse tout le temps nécessaire pour voir ce qu’il sera convenable de demander et de faire avant d’arriver à la conclusion définitive. Cette affaire étant de la plus haute importance et gravité à

  1. Cette relation porte textuellement : « Au mois de juillet 1611, le roi de la Grande-Bretagne écrivit à sa majesté une lettre de créance pour son ambassadeur ici résidant, lequel demanda, de la part de son maître, l’infante doña Anna en mariage pour le prince de Galles. Sa majesté répondit qu’elle étoit dans une autre négociation très avancée pour son altesse (il est écrit en marge : avec la France), et que, malgré cela, elle avoit attendu quelques jours pour voir s’il surviendroit quelque chose de nouveau qui lui permît de répondre d’une façon satisfaisante ; mais, voyant que rien n’étoit changé, elle déclara franchement qu’elle se trouvoit engagée. Elle ajouta que si le message du roi de la Grande-Bretagne étoit arrivé auparavant, elle l’auroit pris, comme de juste, en considération. Elle dit de plus qu’elle avoit d’autres filles qui lui étoient très chères, et qu’elle estimoit et aimoit beaucoup le roi de la Grande-Bretagne et le prince son fils, mais qu’il convenoit de savoir ce que le prince de Galles avoit dessein de faire en matière de religion; s’il devenoit bon catholique, sa majesté seroit prompte à l’accueillir les bras ouverts, comme on le verroit par ses actes, et elle seroit bien aise d’apprendre par l’ambassadeur ce qu’en diroient le roi son maître et le prince son fils. Sa majesté ordonna qu’on écrivît à don Alonzo de Velasco, son ambassadeur à Londres, pour qu’il informât de ceci le roi et ses ministres, lesquels se montrèrent fort contrariés que la demande de la main de l’infante pour le prince de Galles n’eût pas été accueillie; mais don Alonzo leur répliqua que cette demande étoit arrivée trop tard, et qu’ils ne pouvoient se plaindre si sa majesté se trouvoit engagée ailleurs et ne pouvoit leur offrir que sa seconde fille, l’infante doña Maria. A quoi le roi répondit qu’il faisoit grand cas de la réponse de sa majesté, mais que, désirant que son fils eût promptement des enfans, il trouvoit une difficulté dans l’extrême jeunesse de l’infante, et que c’étoit encore une difficulté plus grande de proposer que le prince son fils abandonnât sa religion; on pouvoit, pensoit-il, se contenter en Espagne que l’infante et toute sa maison vécussent dans la religion catholique. Don Alonzo répliqua que les femmes se développoient de bonne heure, et que sa majesté ne pouvoit donner sa fille à un prince qui ne fût pas catholique; sur quoi il se retira de l’audience, chargé par le roi de la Grande-Bretagne d’écrire à sa majesté ce qui s’étoit passé. Plus tard, don Alonzo apprit que, si l’ambassadeur d’Angleterre n’avoit pas reçu de son maître l’ordre de suivre la négociation pour le mariage du prince de Galles avec la seconde fille de sa majesté, l’infante doña Maria, c’étoit parce que le roi d’Angleterre se trouvoit blessé dans son honneur, qui consiste à ne jamais paraître inférieur à la France, mais que ce roi avoit l’intention de laisser passer quelques mois, après quoi il reprendroit la négociation, et qu’en matière de religion il iroit jusqu’à permettre tacitement la liberté de conscience, de quoi dépend le retour de l’Angleterre à l’église catholique. »