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tier, afin qu’il aille plus vite et qu’il fasse nos affaires en poste. — Il ne tombait fois sur le roi d’Espagne et ses affaires qu’il n’en parlât comme par mépris et dédain. » Mais quelques jours plus tard Sully, toujours sur ses gardes, écrivait à son maître[1] : « Les Anglais sont mal disposés et quasi tout changés depuis hier seulement pour avoir été assurés de l’acheminement de l’ambassadeur d’Espagne, de la venue duquel ils avaient été, ces jours passés, en doute; j’ai appris de bon lieu qu’ils voulaient arrêter toutes nos résolutions et affaires jusqu’à ce qu’ils eussent entendu les grandes offres qu’ils s’imaginaient leur devoir être faites par le roi d’Espagne. » Et Henri répondait à son ambassadeur : « Il faut que je vous dise que l’on m’a dépeint le roi d’Angleterre pour prince si irrésolu, timide et dissimulé, que je crains fort que les effets ne suivent pas les bonnes paroles et les espérances qu’il a données, et que nous ne demeurions incertains de sa volonté et de ce que nous en aurons pour maintenir et défendre la cause publique[2]. »

Henri IV avait raison. C’était en lui l’une des marques d’un esprit et d’un caractère supérieurs que, sur toutes les affaires et dans toutes les circonstances, il avait un avis positif et un parti-pris, sachant choisir entre les buts et les chemins divers, et se gardant bien d’ajouter à l’incertitude des événemens les troubles de sa propre pensée et les fluctuations de sa volonté. Jacques Ier était au contraire un de ces esprits perplexes et faibles qui ne savent ni se former une opinion ni prendre une résolution, se figurent qu’ils peuvent entrer dans tous les camps pour courir à la fois toutes les chances, et mettent leur habileté à rester toujours indécis et doubles, attendant que les événemens décident pour eux, et prêts non-seulement à accepter les plus contraires, mais à s’en applaudir, comme s’ils les avaient voulus et faits. Par engagement de controverse et par nécessité de situation au moins autant, je crois, que par conviction religieuse, Jacques demeurait hautement protestant, et blâmait Sully d’appeler le pape sa sainteté. » C’est offenser Dieu, lui disait-il, d’en user ainsi, et il n’y a sainteté qu’en lui seul; » mais quand survenait pour lui-même le besoin de traiter avec le pape, il le qualifiait aussi de saint-père et disait en confidence : « J’irai avec les catholiques jusqu’à l’autel exclusivement. » Il voulait maintenir l’alliance française telle que la lui avait léguée Elisabeth; mais il recherchait en même temps l’alliance espagnole, tour à tour également caressant avec les deux rois, quoique Philippe III, dans la lettre qu’il lui adressa à son avènement, ne l’eût pas appelé mon frère, mais seulement mon

  1. Le 6 juillet 1603, OEconomies royales, t. IV, p. 384.
  2. Le 3 juillet 1603, ibid. p. 457.