Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 40.djvu/266

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

souverain maître de l’Angleterre, Jacques Stuart venait trop tard et était trop décrié; sous les deux grands Tudors, ses prédécesseurs, Henri VIII et Elisabeth, le pouvoir absolu avait brillamment fourni sa carrière et fait son œuvre ; Jacques n’avait plus à en rendre les services et à en recueillir les gloires; il ne faisait qu’en professer hors de saison les maximes et en pratiquer scandaleusement les abus. Son fils Charles entrait avec plus de dignité et plus d’aveuglement dans les mêmes voies; Buckingham exploitait avec un égoïsme arrogant et frivole les faiblesses de ses deux maîtres.

Quand le XVIIe siècle s’ouvrit, le grand drame qui avait rempli le XVIe durait encore; le catholicisme et le protestantisme, la domination de l’Espagne en Europe et l’indépendance de la Hollande soutenue par la France et l’Angleterre, étaient encore aux prises. Dans l’ordre moral et dans l’ordre politique, les grandes questions restaient flagrantes et en suspens; mais presque tous les grands acteurs avaient disparu. Guillaume d’Orange, Philippe II et Elisabeth étaient morts; à leur place, l’Espagne n’avait plus que l’apathique Philippe III, l’Angleterre que le pusillanime Jacques Ier, la Hollande que les enfans de son héros et les agitations intérieures de ses états. Des grandes figures du XVIe siècle, Henri IV seul survivait, et maintenait seul la grande politique européenne.

On a beaucoup disserté sur le grand dessein d’organisation européenne de Henri IV, tel que l’a exposé Sully : on y a vu tantôt un plan sérieux, tantôt une chimérique utopie. Les grands esprits qui ont fait de grandes choses sont à la fois sérieux et rêveurs; quelque vaste que soit le champ où s’exerce leur action, il ne suffit pas à leur pensée, et, quelque efficace que soit leur puissance, ils conçoivent plus qu’ils ne peuvent faire et aspirent plus haut qu’ils ne montent. Que de rêves, que de chimères, que de conceptions fantastiques et de projets impossibles se rencontrent dans les conversations de Napoléon, non-seulement prisonnier et oisif à Sainte-Hélène, mais aux Tuileries et dans les jours les plus actifs de son empire! C’est le plaisir de ces imaginations souveraines de prendre leur vol hors des limites d’espace et de temps où s’enferme leur vie, et de régler comme il leur plaît le monde et l’avenir, sans se soucier des obstacles. Et ce n’est pas seulement pour leur propre et platonique satisfaction que de tels hommes entrent ainsi dans de tels rêves; ils s’en servent souvent pour charmer et entraîner à leur suite, dans leurs desseins positifs et pratiques, les peuples qu’ils commandent, car les masses aussi se plaisent aux vastes perspectives, et livrent volontiers leur force à qui les leur ouvre. Henri IV était plus sensé et moins puissant que Napoléon; mais lui aussi avait ses élans au-delà de ses œuvres, et se complaisait dans des conceptions qu’il ne