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les soins de sa mère une éducation élégante, qu’à dix-huit ans il était allé compléter par un assez long séjour en France. Quand il parut pour la première fois à la cour d’Angleterre, il était aussi pauvre que beau ; à peine avait-il 50 livres sterling (1,250 francs) de revenu, et en 1615, aux courses de Cambridge où le roi Jacques était allé faire une visite solennelle, on vit le jeune George Villiers se promener vêtu d’un vieux pourpoint noir mal réparé. Là pourtant commencèrent ses succès. Il plut au roi en jouant un rôle dans une comédie que représentèrent les étudians de Cambridge. Les courtisans excellent à pressentir les fortunes naissantes ; George Villiers eut bientôt à la cour d’utiles patrons : « les uns, irrités contre la faveur des Écossais, lui voulaient du bien, dit l’un de ses biographes, par cela seul qu’il était Anglais, les grands seigneurs parce qu’il était gentilhomme, le roi à cause de sa beauté et de ses talens, les dames parce qu’il était le plus accompli galant de la chrétienté. » Mais il avait bien des obstacles à surmonter ; Jacques ne prenait guère un nouveau favori sans qu’il fût agréé par la reine sa femme, Anne de Danemark ; les protecteurs du jeune Villiers tentèrent de lui concilier les bonnes grâces de la reine, qui s’y refusa d’abord. « Vous ne savez ce que vous faites, leur dit-elle ; je connais votre maître mieux que vous tous ; si ce jeune homme est une fois introduit, les premières personnes qu’il attaquera, ce sera vous qui travaillez pour lui ; moi aussi, j’aurai ma part : le roi lui apprendra à nous mépriser tous pour qu’il ne doive rien qu’au roi lui-même, et il sera plus insupportable qu’aucun de ses prédécesseurs. » Le nouveau-venu avait en effet un prédécesseur à détrôner. Robert Carr, Écossais d’origine, était, sans de meilleurs titres, en possession de la faveur de Jacques, qui l’avait fait successivement vicomte de Rochester, grand-trésorier d’Écosse, chevalier de la Jarretière, comte de Somerset, grand-chambellan et enfin premier ministre ; mais Jacques commençait à se lasser de lui. Une rivalité, sourde d’abord, s’établit entre les deux prétendans, et la reine finit par prendre parti pour George Villiers. L’hostilité mutuelle éclata bientôt : un jour, au dîner du roi, l’un des serviteurs, créature du comte de Somerset, en posant un plat sur la table, en laissa tomber à dessein des taches sur le bel habit de George Villiers, qui, prompt à repousser l’insulte, lui donna à l’instant un soufflet. C’était, aux termes d’un statut de Henri VIII, s’exposer à avoir la main coupée, et le grand-chambellan réclama ce châtiment ; mais Jacques en défendit son jeune protégé, et ce fut dès lors le bruit de toute la cour que George Villiers l’emportait sur son rival. Jacques essaya un moment de les faire vivre en bon accord ; il avait le goût des éducations et des conseils paternels ; il recommanda à son futur favori une vie modeste, l’art de la con-