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gnard, ce qui lui donnait l’air d’une excessive et fausse corpulence. Il avait peu de barbe. Sa langue était trop grosse pour sa bouche, de sorte qu’il mangeait et buvait malproprement et de mauvaise grâce. Ses jambes grêles avaient peine à le porter ; à l’âge de sept ans, il ne se tenait pas encore debout, et il eut toujours besoin de s’appuyer sur l’épaule de quelqu’un pour se soutenir. Il portait dans des mœurs honteusement dissolues une tendresse ridiculement expansive et familière, toujours dominé et gouverné par des favoris qu’il traitait comme des enfans. Dans ses fréquens accès d’inquiétude ou d’humeur, tantôt il jurait comme un charretier, tantôt il pleurait comme une femme. Nul souverain n’affichait plus pompeusement en principe les prérogatives royales, et nul ne représentait en fait la royauté d’une façon plus subalterne, plus vulgaire et souvent plus choquante.

Son fils, le prince Charles, était au contraire, dans sa personne comme dans son âme, un modèle de réserve et de dignité. Né avec un tempérament délicat, les jambes faibles comme son père, bégayant un peu et placé, dans la faveur publique, bien loin de son frère aîné Henri, jeune prince actif, énergique, ouvert et résolu, il avait contracté dans sa première enfance des habitudes silencieuses et studieuses qu’il ne perdit pas entièrement lorsqu’à la mort de son frère, en 1612, il se trouva héritier du trône, et dont l’influence se fit sentir dans tout le cours de sa vie. Devenu prince de Galles, Charles entra pourtant sans peine dans les mœurs de sa nouvelle situation : il fut bientôt bon cavalier, bon chasseur, bon tireur, bon jouteur, adroit et hardi dans tous les exercices du corps ; mais son naturel, en se développant, contrasta singulièrement avec le caractère et la cour du roi son père ; les bavardages familiers, les bouffonneries vulgaires lui déplaisaient souverainement. À la fois sérieux et romanesque, grave et inconsidéré, il avait à vingt ans un grand respect de lui-même, l’esprit élégant et imprévoyant, le goût des aventures nobles et l’aversion des moindres mécomptes. « Je ne saurais, disait-il dès lors en parlant des avocats, ni défendre une mauvaise cause, ni céder dans une bonne ; » mais dès lors aussi il n’avait pas le jugement assez sûr pour distinguer les bonnes causes des mauvaises, les bons conseillers des serviteurs agréables, et il pouvait, soit de lui-même, soit sur des suggestions frivoles, se lancer témérairement dans des démarches pleines d’erreur et de péril.

Par une étrange fortune, un seul et même favori agréait également à ces deux princes si divers. Jeune, beau, aimable, hardi, prêt à tout faire pour réussir auprès d’un maître et capable de le dominer arrogamment après l’avoir complaisamment charmé, c’était dans la faveur du roi Jacques que George Villiers, petit gentilhomme du comté de Leicester, s’était d’abord poussé et établi. Il avait reçu par