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le Seigneur. Onni va trouver le maître : « Frère, dit-il, permets-moi de te suivre aujourd’hui à l’église; je suis resté tout le printemps perclus et courbé dans l’ombre, et il y a une demi-année que je n’ai entendu la parole divine. »

« Le maître d’un geste lui montre le lac. Un brouillard épais le couvrait encore; on n’apercevait ni les eaux, ni la rive, ni les îles : « Cherche là ton chemin, si tu le veux; personne que toi n’ira en bateau; à pied, par la côte, la route est longue; tous les chevaux sont retenus. »

« Onni entendit la dure parole. Il s’achemina, morne et silencieux, vers le rivage, détacha un bateau et se mit à ramer dans le brouillard épais : « Celui qui conduit le poisson dans l’océan et l’oiseau dans les airs et qui les mène où sa loi les appelle saura bien me montrer aujourd’hui le chemin de sa sainte église! »

« Onni rame déjà depuis une heure, mais il n’aperçoit toujours que l’eau et le brouillard; ses forces commencent à le trahir; la rame devient lourde à ses mains engourdies... Tout à coup, à travers le silence matinal, il entend les tintemens de la cloche qui retentit dans le lointain; il est épuisé de fatigue, et pourtant il est plus loin de l’église, hélas! qu’au moment où il se séparait du rivage. La cloche retentit une seconde, puis une troisième fois; c’est toujours de bien loin que vient le son. Sans force, sans direction, sans espérance, Onni lève les yeux vers l’épais nuage comme pour l’interroger.

« Au même instant, interrompue dans sa marche lente, la barque touche, et dans le brouillard se dessine un rivage qui semble inviter le vieillard au repos. Il descend sur la plage, regarde autour de lui, et reconnaît la plage où cent fois, jeune homme, il aborda. Il s’assied pensif sur la rive rocheuse, et son âme, comme la terre et le ciel, est enveloppée d’un sombre nuage.

« La cloche retentit encore. Au Dieu puissant le vieillard s’est-il donc fié en vain? Il lève au ciel un regard sans espoir... Tout à coup le nuage se déchire; entre ses plis apparaît un pur fragment bleu, présage de la lumière. Sans doute les chants commencent dans l’église; sur l’île solitaire, un doux frémissement glisse au milieu du feuillage; l’alouette éveillée s’élance vers le ciel; la nature engourdie secoue son sommeil. A chaque murmure succède un murmure; dans la vallée, sur les hauteurs, des voix s’éveillent; elles tournent autour du vieillard; elles s’emparent de lui, ces voix joyeuses; la fatigue et le chagrin sont oubliés, et le psaume, le psaume sublime de la mi-été : « Il est venu le temps des fleurs... » s’échappe de ses lèvres tremblantes.

« Quand il achève, un air pur règne autour de lui ; le soleil sort lentement de son lit de nuages pour inonder la terre de ses rayons; l’atmosphère est redevenue muette, le souffle du vent se tait, la nature ne chante plus, elle contemple... Le vieillard, recueilli d’abord dans sa prière, suit involon-