Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 40.djvu/246

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

P…, un nouveau jour se lève, éteignez le gaz, et commençons les économies. » Manifeste de bon augure, car, dans les petites républiques où les pompes de l’éloquence administrative sont inconnues, les programmes, pour être bons, n’ont pas besoin d’occuper plusieurs colonnes du Moniteur. e. forcade.



REVUE LITTÉRAIRE.

LES ROMANS NOUVEAUX.

Un des plus curieux, peut-être un des plus profonds problèmes du monde moral et littéraire de notre temps serait le simple problème de la nature et des destinées du roman. Le roman est partout aujourd’hui en effet, il court le monde et n’est point à l’abri des aventures. C’est le cadre libre et facile de toutes les inventions, de tous les caprices, de toutes les humeurs de l’imagination vagabonde et créatrice. Il a cet avantage, qu’il se prête à tout et qu’il est à la portée de tous les goûts, de toutes les curiosités irritées ou paresseuses. C’est vraiment l’épopée d’un temps qui n’a point d’épopée, ou qui du moins n’a point eu encore la fortune de voir se fixer dans une poésie souveraine tout ce qu’il contient de puissant et de dramatique, et qui, en attendant, au courant d’une vie affairée, aime à s’entendre raconter sa propre histoire, à se voir peint avec ses passions, ses mœurs, ses vices, ses contrastes, ses luttes intimes et ses excitations violentes. De là cette multitude de récits, de fictions, qui, à côté de l’histoire et de la réalité, sont comme le journal romanesque de la vie contemporaine. Et comme le nombre de ceux qui lisent s’est prodigieusement accru dans une société élargie, transformée par le nivellement des rangs, des mœurs et des goûts, la légion des conteurs s’est aussi prodigieusement multipliée. Tout a changé, et alors on a vu se produire ce phénomène étrange d’une littérature romanesque périssant par le morcellement et la dispersion, se subdivisant en mille courans diminués, allant parler à une foule de publics divers et spéciaux, aux goûts contradictoires et équivoques, au lieu de parler à ce grand public qui est tout le monde, se préoccupant infiniment moins, dans ses peintures de l’humanité, de la société véritable que de certaines régions distinctes, de certaines excentricités, de certaines nuances qui ont la saveur de l’inconnu, et en définitive s’atténuant ou s’égarant dans la confusion immense de cette nouvelle carrière ouverte devant elle. Littérature singulière par ses mœurs, par la nature de ses procédés, par les sujets qu’elle préfère, par la facilité avec laquelle elle vit et meurt ! On a imaginé autrefois ce mot de littérature facile pour caractériser tout un ordre d’œuvres légères et sans durée : que dirait-on aujourd’hui, où chaque heure presque voit naître un roman, et où toutes