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présentent, est chez nous soucieux et laid ; les poses sont vulgaires, les costumes lourds et disgracieux; nulle noblesse, nul génie. La grande infériorité de l’art moderne vis-à-vis de l’art ancien se révèle déjà. Déshérités en tout ce qui tient à la beauté des formes extérieures, les peuples modernes, pour arriver à la noblesse, seront obligés d’abdiquer leurs costumes et leurs allures nationales. Ils n’auront pas de choix entre la vulgarité bourgeoise ou la noblesse théâtrale. Leurs arts plastiques, leur statuaire surtout, seront frappés de quelque affectation et d’une certaine gaucherie.

L’exagération du style ogival ne nuisit pas moins au développement des arts du dessin. Suivant leur principe d’amincissement et de maigreur générale jusqu’aux dernières limites, nos architectes en vinrent presque à supprimer les surfaces planes. Chassée de son domaine naturel, qui est la grande composition murale, la peinture s’abaissa peu à peu au niveau de la peinture en bâtimens. On ne songe plus qu’à entourer les colonnettes de mesquines torsades; on se rejette, pour la décoration des autels, sur une imagerie en pierre, lourde et sans accent. Qu’on songe à ce que fût devenue la peinture en Italie, si les églises du temps de Giotto eussent été construites dans ce style, si le génie de ce grand homme et de ses successeurs n’eut eu pour se déployer les vastes murs des églises d’Assise ou du Campo-Santo de Pise! Notre grande supériorité en architecture nous perdit. De tours de force en tours de force, nos maîtres maçons arrivèrent à des églises sèches, abstraites, froides, exclusivement architecturales. Le vide et la nudité de ces églises, quand elles ont échappé à l’ornementation désastreuse du XVIIe et du XVIIIe siècle, est quelque chose d’attristant. Les détails y étant secondaires, le plan seul étant la partie vivante et voulue, elles sont plus belles en dessin que dans la réalité. Une fois qu’on a épuisé le grand sentiment d’infinité qui résulte de l’ensemble, on sent le défaut de cette architecture égoïste et jalouse, n’ayant pour but qu’elle-même et régnant dans le désert. Je ne connais aucun grand vaisseau du moyen âge en Italie qui puisse se comparer à nos cathédrales de la même époque. Pourquoi cependant les églises toscanes et ombriennes sont-elles d’un art plus fin que Saint-Ouen, que la cathédrale de Beauvais? Parce que l’architecte s’y est borné à son rôle, parce que chaque détail y conserve son prix. Elles sont supérieures à nos églises comme Pétrarque est supérieur aux troubadours. Elles remplissent la condition essentielle de l’art classique, un cadre fini, laissant place à toutes les délicatesses de l’exécution.

L’Italie, il est vrai, a eu deux bonnes fortunes refusées à la France, et dont il importe de tenir un grand compte : celle d’avoir conservé intactes les œuvres de ses anciens maîtres et celle d’avoir eu, grâce