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Maria-Novella, portant sur ses murs les charmantes images de la gaîté et des élégantes folies de la vie florentine, eût été un scandale à Paris. Le bon Nicolas Flamel et la grave Pernelle, son épouse, s’y fussent trouvés mal à l’aise. La France faisait sans doute plus de sacrifices que l’Italie pour ses constructions religieuses, mais elle n’y sortait pas d’une certaine sécheresse. Ces églises de Florence, de Bologne, de Milan, tristement inachevées, respirent un sentiment de l’art plus délicat que nos cathédrales de la même époque. Une pensée plus vivante les a élevées; ici ce sont des œuvres d’artistes, là des œuvres d’ouvriers : on sent que les unes sont dans la voie du progrès, et que les autres font partie d’un art condamné.

Tout contribuait ainsi à donner à l’artiste italien plus de liberté et de dignité. Au lieu d’ouvriers obscurs, anonymes aux yeux de l’histoire, chaque monument de l’Italie rappelle un nom illustre, une gloire municipale, un grand artiste, honoré durant sa vie comme un personnage politique, objet de légendes après sa mort. L’exagération même de quelques-unes de ces réputations est un fait significatif; elle atteste le haut prix que l’opinion attachait aux belles choses et le charme puissant qui attirait les imaginations vers le domaine de l’art.

Si nous considérons les circonstances extérieures au milieu desquelles l’artiste travaillait en Italie et en France, nous reconnaîtrons aussi sans peine que l’artiste italien était à meilleure école. L’étude de l’antique fit bien moins défaut à nos artistes qu’on ne l’a supposé : à Reims, elle se trahit à des signes évidens; trois figures au moins de l’album de Villard sont des études faites sur l’antique ou le byzantin ; mais ici l’Italie avait de grands avantages. Les restes de l’art antique y étaient bien plus considérables que dans la France du nord. Quelques belles statues, les trois grâces du dôme de Sienne par exemple, furent connues dès le moyen âge. Les ordres de l’architecture romaine, au moins depuis Brunelleschi, attirèrent l’attention. En peinture de même, l’art byzantin avait offert aux Giunta et aux Cimabue des œuvres bien plus avancées que celles que purent étudier nos peintres du XIIIe siècle.

L’art est en grande partie le reflet de la société que l’artiste a sous les yeux. Or la société italienne offrait dans le type et les manières une élégance que la nôtre ne présentait pas. La race y était plus belle, le costume et les allures plus distingués. Quelque part que l’on fasse à l’idéal, le monde qu’on entrevoit derrière le Sposalizio de Raphaël, ou la Vie d’Ænéas Sylvius au dôme de Sienne, ou les fresques de Santa-Maria-Novella, l’emportait immensément en finesse et en grâce sur le monde de Saint-Jacques-de-la-Boucherie et des Célestins. Le type général du siècle, tel que les miniatures nous le