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qu’à des hauteurs modérées; le bâtiment paraît assez large; les fenêtres sont de taille moyenne, presque sans divisions intérieures. Tout l’édifice respire une droiture de jugement, un sentiment de justesse dont on ne tardera pas à se départir.

Comment, après être arrivé à une sorte de type classique, à un ordre, si l’on peut s’exprimer ainsi, où le caprice n’avait plus de place, l’art gothique manqua-t-il tout à coup à ses promesses? Comment ne réussit-il pas à durer et ne devint-il pas l’art des temps modernes? C’est ce qu’il faut maintenant rechercher. Les causes de ce phénomène lurent de deux sortes : les unes étaient dans les principes de l’art lui-même, les autres dans les vices essentiels de la société du temps. L’âpreté de Philippe le Bel, la légèreté des Valois, le peu de sérieux de la noblesse, l’esprit étroit de la bourgeoisie, ne sont pas les seules raisons qui ont empêché la renaissance de se faire en France au XIVe siècle; c’est l’art lui-même qui était impuissant à produire pour de longs siècles une forme définitive. L’album de Villard est à cet égard le document le plus instructif.


II.

Ce que cet album nous apprend en effet, ce n’est pas comment le style gothique se forma, mais bien plutôt comment il s’altéra. L’ivresse de combinaisons hardies que chaque page révèle donne de l’inquiétude. On sent que ce beau style périra par le tour de force et l’abus des plans faits sur le papier. Le feuillet 28 nous montre Villard et Pierre de Corbie créant de compagnie, et par une sorte de concours (inter se disputando), des formes nouvelles, plus remarquables par leur difficulté et leur bizarrerie que par leur solide beauté. L’admiration de Villard est quelquefois un peu puérile; celle qu’il professe pour la tour de Laon, par exemple, tient à des raisons géométriques plus ingénieuses que réelles, ou à des accessoires de mauvais goût exagérés par son imagination. On sent que le but a été dépassé, sans qu’une complète maturité de jugement soit intervenue pour recueillir la tradition, la régler et la préserver de toute exagération.

Certes, ce qui faisait défaut, ce n’était ni le mouvement ni l’esprit. L’activité qui régna parmi les architectes de cette époque est quelque chose de prodigieux. Leur genre de vie, renfermée dans une sorte de collège ou de société à part, entretenait chez eux une ardente émulation. Pour que de tels hommes se soient peu souciés de la renommée, il faut qu’ils aient trouvé dans l’intérieur de leur confrérie un mobile suffisant, qui les rendait indifférens à toute autre chose qu’à l’estime de leurs pairs. Ce ne sont plus en effet ces efforts im-