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de la Champagne, tout le bassin de l’Oise, dans la vraie France enfin, c’est-à-dire dans la région où la dynastie capétienne, cent cinquante ans auparavant, s’était constituée.

L’aspect archéologique de cette région de la France démontre d’une façon incontestable la proposition que nous venons d’énoncer. Les constructions qui expliquent la transition du style roman au style gothique, les cathédrales de Noyon, de Senlis, Saint-Remi de Reims, Notre-Dame de Châlons, l’église de Saint-Leu d’Esserans, y sont toutes groupées. Quand on entre dans la cathédrale de Noyon, comme l’a très bien fait observer M. Vitet, on croit au premier moment entrer dans une église purement ogivale; mais on remarque bientôt que le plein-cintre y est presque aussi souvent employé que l’ogive, et l’on arrive à se convaincre que pendant quelque temps on suivit simultanément les deux systèmes. Les arcs romans en effet se trouvent dans toutes les parties de l’église, mais principalement, chose frappante, dans les ordres les plus élevés. Presque toutes les églises de cette région présentent le même phénomène. Les deux styles s’y mêlent profondément; quand elles sont ogivales, l’aspect général de l’édifice est encore roman, et quand elles sont romanes, on y voit facilement poindre les traits qui, en se développant, formeront le caractère du style ogival. Il suffira de citer Saint-Denis, Saint-Étienne de Beauvais, Saint-Martin de Laon, Saint-Pierre de Soissons, l’église de l’abbaye d’Ourscamps, Saint-Évremont de Creil, les petites églises romanes des environs de Laon et de Beauvais, les petites églises, plutôt gothiques, d’anciens prieurés qu’on trouve dans le Valois. Partout on sent l’effort du style roman pour produire quelque chose de plus léger, ou la simplicité naïve du gothique naissant, encore pur de tout raffinement subtil. L’ogive, dans les édifices décidément gothiques, est à peine sensible, tant l’angle des deux arcs est ouvert. La hauteur est très modérée. Le style a encore une pureté et une sévérité qu’il ne gardera pas dans les pays où il sera transporté. Quand des textes formels ne nous apprendraient pas que les cathédrales de Noyon, de Senlis, de Laon, de Paris et de Chartres furent les premières églises gothiques, le style seul de ces édifices l’indiquerait. Les petites églises de Saint-Leu d’Esserans, de Longpont, d’Agnetz, sont également des chefs-d’œuvre de proportion, de justesse, de hardiesse mesurée, que l’architecture gothique n’a pu produire qu’à son début. Ajoutons que tous les architectes célèbres de l’école gothique, Robert de Luzarches, Pierre de Montereau, Eudes de Montreuil, Raoul de Coucy, Thomas de Cormont, Jean de Chelles, Pierre de Corbie, Villard de Honnecourt, sont de l’Ile-de-France, de la Picardie ou des pays voisins, et qu’aucune région ne justifie aussi bien que celle-ci l’apparition du style nou-