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ni de l’autre, « elle appartient incontestablement au Pérugin. On ne la retrouve pas seulement dans son école, mais encore deux planches gravées qui se trouvent à Gotha semblent être faites d’après l’œuvre originale du Pérugin. Elles sont absolument conformes, du moins dans la partie principale du sujet, à la fresque; mais l’architecture est plus riche dans la gravure, et l’on n’y trouve pas la scène du mont des Oliviers. »

Ainsi voilà le Pérugin directement mis en scène. Ce n’est pas seulement sa lointaine influence, le souvenir de son école, un certain reflet général de sa manière et de son style, qu’on prétend retrouver ici ; — tout le monde en tomberait d’accord : — il s’agit d’autre chose. Cette fresque est son œuvre, ou du moins l’œuvre de sa pensée; la composition est de lui, incontestablement de lui. M. Passavant insiste sur ce point, et son opinion se résume dans cette triple conclusion : « L’œuvre est du Spagna, d’après une composition du Pérugin, dans la manière de Raphaël. »

Je ne sais pas, quant à moi, de plus grosse hérésie que cette cote mal taillée. Si quelque chose est plus impossible encore que d’attribuer au Spagna l’exécution de cette fresque, c’est d’admettre que le Pérugin soit l’auteur de la composition. Qu’a-t-il fait d’analogue? qu’a-t-il conçu dans cet esprit? Où l’avez-vous vu donner à ses personnages ces attitudes simples et naturelles, ce franc langage, ces regards sans manière et sans affectation? Où sont les draperies qu’il a traitées avec ce calme, cette largeur et cette fermeté? Est-ce à Pérouse, au Cambio, ou à San-Severo? est-ce même au Vatican ou sur les toiles du musée de Lyon? Dans ses meilleurs tableaux, quand il nous ravit par sa grâce, ou même quand il s’élève au sérieux, au pathétique, comme dans l’Ensevelissement du Christ au palais Pitti, ne sent-on pas toujours certaines traces de subtilité, d’afféterie scolastique ou conventionnelle? Ici, pas l’ombre de ces faux brillans. D’où vient donc que M. Passavant affirme avec tant d’assurance, comme s’il en avait la preuve, que cette composition est l’œuvre du Pérugin? Et d’abord quel sens attache-t-il au mot composition? Si ce n’est qu’une certaine distribution hiérarchique de ces treize personnages et la pose convenue de quelques-uns d’entre eux, tout est dit : ne parlons ni du Pérugin, ni de son école, ni d’aucune autre. Cette composition appartient au moyen âge tout entier; on la retrouve, depuis le XIIe siècle, chez tous les maîtres peintres et sculpteurs. Nous l’avions rencontrée à Tours, sur une verrière de la cathédrale; depuis, nous l’avons vue à Pistoïa, sculptée sur le linteau d’une porte d’église[1]. C’est un motif traditionnel

  1. L’église Saint-Jean-l’Évangéliste. Non-seulement le Judas est seul d’un côté de la table, mais il est à genoux.