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cette année le temps a dû manquer au jeune peintre pour mener à fin un aussi grand travail. Voici leur argumentation : Raphaël, arrivé à Florence en octobre 1504, ne put d’abord faire autre chose que visiter et admirer tant de chefs-d’œuvre, nouveaux pour lui, dont il était entouré. Les premiers mois de son séjour se passèrent donc en études et en recherches qui ne lui permettaient d’entreprendre aucune œuvre de longue haleine ; puis, dans l’année 1505, nous savons, disent-ils, qu’il dut se rendre à Pérouse pour exécuter au moins deux grandes compositions, la fresque de San-Severo et le tableau d’autel pour la chapelle Ansidei dans l’église de San-Fiorenzo. Enfin le 29 décembre de cette même année il s’engageait à peindre un autre tableau d’autel pour les religieuses de Monte-Luce, près Pérouse. Tels sont les faits qui, à en croire les éditeurs de Vasari, démontrent que dans l’année 1505 Raphaël ne peut pas avoir peint la fresque de S. Onofrio. Cette façon de raisonner aurait peut-être quelque valeur, s’il s’agissait d’un bon étudiant fraîchement descendu de Bâle, d’Augsbourg ou de Bamberg, encore mal dégrossi, et se débrouillant à grand’peine dans la contemplation de l’Italie. Nos savans éditeurs oublient de qui ils parlent, et ce qu’était à vingt-deux ans, même au milieu des trésors de Florence, ce merveilleux jeune homme, ardent à étudier sans doute, mais non moins ardent à produire; ils oublient que dans sa courte vie tout est prodige et que l’emploi du temps n’en est pas le moindre miracle, que quelque chose de plus extraordinaire que la perfection même de son œuvre, c’est qu’un seul homme en soit l’auteur. Songez qu’il nous reste de lui, d’origine authentique, près de trois cents tableaux. Et s’il y a dans ce nombre des portraits, des peintures de petite dimension, combien n’y a-t-il pas aussi de fresques et de grandes toiles, sans compter l’innombrable série de ses études et de ses dessins ! Et c’est sur trente-sept ans, que dis-je, sur vingt ans seulement, que tout cela se répartit! Quelle production moyenne! quel contingent pour chaque année! Et qu’on est loin de compte lorsqu’on croit faire la part à l’an 1505 avec la fresque de San-Severo, plus un tableau de maître-autel! Ce voyage à Pérouse, qu’aura-t-il pris de cette année? Deux ou trois mois tout au plus. Pourquoi dès lors ne pas admettre que le reste appartienne, et au Cenacolo, et même aussi à quelques petites toiles bien connues, que dans cette même année il a dû peindre en se jouant? pourquoi ne pas vouloir que dès la fin de 1504, après le premier feu de sa curiosité et de ses admirations, il ait commencé son travail chez les dames de S. Onofrio? Si l’on se bornait à prétendre qu’il n’a pas, à lui seul et de sa propre main, couvert tout ce grand mur, qu’il aura dû se faire aider, nous pourrions bien ne pas dire non ; peut-être même trouverions-nous dans l’exécution de la