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sûre, et par là trop en désaccord avec le faire timide et incertain des premières fresques du maître et notamment de celle de San-Severo. Enfin, dernier grief, peu conciliable avec celui-ci, l’archaïsme de la composition est trop complet, trop accusé, pour être sans invraisemblance imputé à ce jeune homme qui ne venait à Florence que pour se pénétrer et se nourrir des grandes nouveautés qu’alors on y voyait éclore, et en particulier des exemples de Léonard et de Michel-Ange.

Examinons ces objections, et d’abord, quant à la dernière, notre réponse est déjà faite : nous avons surabondamment constaté[1] quelle était la disposition d’esprit de Raphaël pendant son premier séjour à Florence et combien, si avide qu’il pût être d’étudier ces séduisantes nouveautés, il se montrait encore profondément fidèle, ses œuvres en font foi, aux traditions de son pays. Dès lors que signifie cette prétendue invraisemblance? Le jeune adepte de l’Ombrie devait accepter, nous l’affirmons, et accepter avec bonheur, l’obligation de maintenir dans cette sainte cène l’ordonnance et les attitudes consacrées par les anciens maîtres, sauf à traduire ces vieilles formes dans son jeune langage et à les ranimer du feu de son talent. N’est-ce pas en effet ce qui distingue cette fresque? L’archaïsme n’y règne que dans certains détails de la composition; il est exclu de tout le reste, et vous le reconnaissez vous-même, puisque l’exécution vous en paraît trop sûre, trop parfaite, trop magistrale pour provenir de ce jeune homme si novice alors, selon vous, dans l’art de peindre à fresque. Ceci, je dois le dire, est un point sur lequel nous différons encore. Je cherche vainement entre la fresque de San-Severo et celle de la rue Faenza ce notable contraste que vous nous signalez. L’exécution technique est, sur les deux murailles, la même, ou à peu près, ainsi que l’avait reconnu M. Della Porta dès 1845; s’il existe des différences, elles sont insensibles, et jamais on n’en pourrait conclure que les deux œuvres ne sont pas du même temps et du même pinceau; tout au plus serait-il permis de dire que l’une a dû précéder l’autre dans le cours de la même année. D’où il suit que pour nous deux points sont établis, et hors de contestation, savoir : que Raphaël, à vingt-deux ans, était déjà bien assez passé maître, même dans l’art de peindre à fresque, pour que le Cenacolo soit son œuvre, quelque perfection technique qu’on signale à bon droit dans le travail de cette fresque, et d’autre part que, même à vingt-deux ans et dans les premiers temps de sa vie florentine, il conservait encore assez de foi, de candeur et de docilité pour s’être soumis de bonne grâce à placer son Judas, à poser son

  1. Revue des Deux Mondes du 15 novembre 1850, p. 595.