Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 40.djvu/186

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

personnes, il faudrait cependant révolutionner nos étables et partout introduire du nouveau, comme si le nouveau et le progrès étaient toujours une même chose. De telles exagérations ne sont bonnes qu’à en provoquer d’autres dans un sens contraire, et c’est pour éviter le second excès qu’on ne doit pas craindre de combattre le premier.

Les animaux dont on s’occupe le plus en ce moment sont le yak et le lama avec les congénères de ce dernier, la vigogne et l’alpaga. Le yak ne vaut pas le bœuf. Il a des crins à la queue, et sur une partie du corps des poils qui rappellent la laine; mais sa force n’est pas supérieure à celle du bœuf, et ce qui décide la question, les qualités laitières de la femelle sont moindres que celles de la vache. Là où le yak pourrait être introduit chez nous, nos races montagnardes savent déjà vivre. Semblable en cela au buffle, que les contrées marécageuses acceptent faute de mieux pour le délaisser dès qu’elles sont assainies, le yak n’a jamais pu encore sortir de ses montagnes natales pour se faire adopter par des pays plus tempérés. L’industrieuse Chine, dont il est si voisin, le connaît et ne s’en occupe pas. La Suède peut-être aurait avantage à l’introduire sur quelques cimes abruptes; mais en France quelles herbes restent donc sans emploi quand descendent de la montagne nos bœufs, nos moutons et nos chèvres, chassés par les neiges de l’hiver? Quels travaux, quels transports restent donc inachevés que le yak ou toute autre bête nouvelle pourrait seule accomplir?

Nous ne trouvons pas non plus que le lama présente, relativement à nos bêtes ovines, les avantages qu’on lui attribue. On dit que dans leur pays natal le lama et ses congénères ne souffrent pas autant que le mouton des intempéries de l’atmosphère; mais en serait-il encore de même sous un climat étranger? Nous avons vu à La Haye le troupeau de lamas que le roi de Hollande s’amuse à y entretenir depuis un certain nombre d’années; or il paraît que cette expérience n’est pas en somme très concluante, car l’exemple du roi n’a été suivi par personne. D’ailleurs le plus grand mérite du lama et de l’alpaga consiste dans leur toison, et comme l’agriculture française trouve maintenant intérêt à développer, surtout en vue de la boucherie, l’aptitude et la précocité des bêtes ovines, nous ne croyons guère à l’opportunité d’une telle acclimatation. Alors que le lama réussirait, — ce qui est douteux, — sur quelques-unes de nos montagnes mieux qu’il n’a fait à l’Institut de Versailles, cette nouvelle bête resterait sans aucun doute confinée sur de très rares exploitations. Dans les Andes elles-mêmes, le lama se trouve aujourd’hui repoussé sur les hauteurs froides et arides où ne pourrait habiter le mouton, que l’on préfère multiplier sur tous les sites les plus fer-