Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 40.djvu/119

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

proclamant l’admissibilité des candidats, ne craignaient de faire tort à personne ni de blesser aucun droit acquis, il s’ensuivait que cette épreuve était à peu près dérisoire. Il se présentait, et c’était sans doute le plus grand nombre, des jeunes gens dont les parens n’avaient pas négligé l’instruction ; mais il s’en trouvait aussi que leurs familles poussaient là parce que l’on ne savait comment leur trouver une autre carrière, parce que dans ce cas il suffisait au père de pouvoir entrer dans les bonnes grâces du grand-maître de l’artillerie pour donner à son fils un état honorable et honoré. On était allé si loin dans cette voie paternelle que, s’il fallait en croire les indiscrétions de la presse et du parlement, il paraîtrait que les candidats déclarés admissibles n’étaient pas toujours très familiarisés avec les simples mystères de l’orthographe et de la grammaire anglaise. C’étaient des exceptions sans nul doute, mais des exceptions qui devaient singulièrement contribuer à retenir la force des études faites à l’académie sur un niveau peu élevé.

Les élèves passaient deux ans à Woolwich, et ensuite ils étaient attachés à quelque batterie dont le sort était de rouler indéfiniment dans les garnisons coloniales de l’Angleterre. C’étaient des pérégrinations de huit ou dix ans, coupées au bout de chaque époque décennale par un séjour de deux ou de trois ans au plus dans la mère-patrie. Sans les congés qui suivaient les promotions ou qui étaient accordés pour cause de santé ou d’affaires de famille, cette existence eût été presque intolérable. En tout cas, elle ne pouvait pas produire des officiers instruits. Dans la plupart des stations où on les envoyait, ils n’avaient ni polygone, ni ateliers, ni même quelques pièces attelées qui pussent les aider à se tenir au courant des affaires de leur métier. Entretenir l’ordre et la propreté dans les magasins qui étaient confiés à leur garde, exécuter des saluts en l’honneur des bâtimens de guerre étrangers ou des personnages que le hasard amenait dans leurs résidences, tirer des salves aux jours anniversaires de la naissance de la reine, c’était à cela que se bornaient tous leurs devoirs. Il y avait certainement des officiers qui sous ce régime passaient des années et des suites d’années sans avoir vu tirer un coup de canon chargé à boulet. Aussi ne faut-il pas s’étonner si leur savoir était inférieur à celui des officiers des autres armées européennes, si, dans le concours qui est ouvert en Angleterre pour la création d’une artillerie rayée, on ne voit figurer parmi les compétiteurs qu’un seul officier-de l’arme, le capitaine Blakely ; encore faut-il ajouter que le capitaine Blakely appartenait à l’artillerie à cheval, un corps composé d’une dizaine de batteries seulement, qui avait le privilège de ne quitter presque jamais les garnisons de la métropole, et qui avait à sa disposition le polygone et les ateliers de Woolwich, l’unique terrain d’expériences, le seul