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sujet d’une question d’intérêt commun. Chacun d’eux se trouvait alors à la tête de plusieurs milliers de pièces de fonte des anciens modèles : canons de 24, de 30, de 36, de 50, obusiers de 30 et de 80, dont la construction avait coûté un bon nombre de millions, et qu’il paraissait dur de jeter au rebut pour les revendre tout simplement au poids comme vieille fonte hors de service. Était-il possible cependant d’en tirer parti ? La chose paraissait difficile, car d’une part on ne pouvait songer à leur faire subir l’opération de la rayure qu’en les affaiblissant, et de l’autre on ne pouvait en faire des canons rayés qu’en leur imposant comme conséquence nécessaire la condition de supporter des efforts de poudre plus considérables que ceux pour lesquels ils avaient été calculés, de tirer des projectiles d’un poids au moins double de celui des anciens boulets sphériques. Tel était le problème. Ce fut l’artillerie de l’armée qui le résolut, grâce encore, dit-on, à l’Imaginative de M. le colonel Treuille de Beaulieu. Il proposa de renforcer la partie arrière des pièces, celle qui supporte le plus grand effort au moment de la conflagration de la poudre et du départ du boulet, au moyen d’un corset composé de bandes ou de frettes d’acier qui, appliquées à chaud, devaient, en se contractant par le refroidissement, se marier avec les pièces et en augmenter la solidité dans des proportions suffisantes. Ce procédé simple et d’une exécution facile a complètement réussi. Les nombreux essais qui ont été faits avec des canons frettés et pourvus d’appareils à chargement par la culasse ont uniformément produit les résultats les plus satisfaisans. Les pièces dont on a voulu absolument avoir raison n’ont cédé qu’après avoir supporté des charges énormes de boulets et de poudre (ce qui est le point le plus important), qu’après avoir tiré des milliers de coups, dont un bon nombre dans les conditions du tir à outrance. Ce qui n’est pas moins remarquable encore, c’est que ce ne sont jamais les frettes ni les appareils de chargement par la culasse qui ont succombé ; tous les désordres qui ont amené la rupture des pièces se sont manifestés dans l’ancienne fonte. Sans doute des canons neufs que l’on fondrait aujourd’hui tout exprès devraient être supérieurs aux canons des anciens modèles qui ont subi l’opération du frettage, mais il n’en est pas moins vrai que grâce à ce procédé ingénieux on a pu conserver à l’état un matériel d’un prix très considérable, et qui, rajeuni comme il l’est aujourd’hui, peut soutenir la comparaison avec tout ce qu’on a fait de mieux partout ailleurs.

Autant que nous pouvons le savoir, les premières expériences des pièces frettées furent faites en 1858 et 1859 à Vincennes et à Toulon, en présence et avec le concours des marins. Dès le premier moment, ils purent voir que le débat allait commencer entre l’artille-