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rie française a toujours joui d’un prestige réel aux yeux de l’étranger. Les contemporains parlent avec admiration du parc d’artillerie que Charles VIII emmena en Italie en 1492 ; les canons de François 1er ont été aussi célèbres dans leur temps ; le matériel réuni discrètement par Henri IV dans les bâtimens de l’Arsenal produisit une grande sensation en Europe, lorsqu’à la mort du roi on vint à connaître l’importance de ses préparatifs. L’artillerie de Louis XIV, qui fit tant de sièges, était aussi très renommée. Plus près de nous encore, le matériel qui portait le nom de l’inventeur, le général Gribeauval, matériel qui a fait toutes les guerres de la république et de l’empire, a joui d’une véritable réputation. Depuis, le matériel créé sous la restauration[1], les canons du général Paixhans et celui de l’empereur Napoléon III ont dignement soutenu notre renom comme artilleurs. Devions-nous rester en arrière des autres sur la question de l’artillerie rayée ?

Nous ne pouvons pas nous vanter d’avoir eu les premiers l’idée de rayer les canons. Dès le premier jour où l’on reconnut la supériorité que possédaient à beaucoup d’égards les fusils rayés sur les fusils à âme lisse, on paraît avoir travaillé dans tous les pays à faire des pièces d’artillerie rayées. Il y a trois ou quatre siècles peut-être que ce projet n’a pas cessé de fermenter dans les imaginations ; aussi est-il probable que la question de priorité ne sera jamais résolue avec quelque certitude. De nombreux témoignages existent au musée d’artillerie de Saint-Thomas-d’Aquin, qui prouvent que nos devanciers ont été fort occupés de ce problème. Ils ont fait des canons rayés de plusieurs systèmes, mais ils n’en ont pas fait un seul qui ait répondu aux exigences de la pratique. Aussi le véritable point à débattre par l’amour-propre des contemporains, c’est la question de savoir quelle est l’armée qui la première a produit sur les champs de bataille un matériel d’artillerie rayée. Or la réponse à cette question ne peut être discutée par personne : c’est la France qui, en 1859, a la première conduit en campagne une armée exclusivement pourvue d’artillerie rayée, laquelle artillerie, pour parler plus exactement encore, n’était que la reproduction sur une grande échelle d’un certain nombre de pièces qui, en 1856 déjà, avaient figuré avec un succès décisif dans la campagne de Kabylie. Toutefois la date de 1856 ne serait pas encore celle de l’année où s’est produit en France un système réellement pratique d’artillerie rayée ; ce se-

  1. Pour être juste, il faut reconnaître que c’est aux Anglais que nous avons emprunté l’idée de l’artillerie montée. Ils ont été les premiers à s’en servir sur le champ de bataille, comme ce sont eux aussi qui ont inventé la carronade. Nos voisins se sont aussi donné beaucoup de peine pour perfectionner les fusées de guerre ; mais c’est une arme qui paraît n’avoir jamais été très estimée chez nous.