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Après un assez long séjour fait dans la capitale du monde catholique, Mendelssohn va à Naples, dont il admire seulement le climat et la situation. Il ne parle du théâtre de Saint-Charles, de son orchestre et des opéras qu’on y exécute qu’avec dédain. Il s’exprime très légèrement sur le talent de Donizetti, qui n’avait pas encore produit alors ses œuvres les plus charmantes, et il ne mentionne que rarement le nom de Rossini, sans jamais l’accompagner d’une épithète louangeuse. Pauvre Mendelssohn ! il n’était pas né pour comprendre le génie de l’auteur du Barbiere di Siviglia, et ce ne sont pas les hommes de sa nation ni ceux de sa race qui ont inventé l’art d’exprimer la gaité et les passions vives et profondes du cœur humain. Nous verrons plus tard comment Mendelssohn juge à Paris Guillaume Tell et Robert-le-Diable. Revenu un instant à Rome, Mendelssohn la quitte pour la seconde et dernière fois, se rend à Florence, traverse Gênes et s’arrête un instant à Milan, où il fait l’heureuse rencontre d’une femme distinguée, Mme Ertmann, une élève chérie de Beethoven, à qui le grand maître a dédié la sonate pour piano en la majeur. Il fut accueilli avec beaucoup de grâce par Mme Ertmann, qui exécuta, immédiatement devant lui la sonate en ut dièze mineur et celle en ré mineur de son illustre maître. Mendelssohn eut aussi l’occasion de connaître à Milan le fils aîné de Mozart qui portait avec dignité le nom d’un si grand homme. Dans une lettre qu’il écrit de cette ville à l’auteur dramatique Édouard Devrient, Mendelssohn lui demande : « Si tu connais un homme qui sache écrire un poème d’opéra, nomme-le-moi, je t’en conjure, car je ne cherche pas autre chose. En attendant que je trouve ce libretto tant désiré, je compose des chants religieux sur le texte de la Bible, comme le faisait Sébastien Bach. J’ai aussi écrit un grand morceau de musique que je crois destiné à réussir : c’est la Walpurgisnacht de Goethe. J’ai commencé cette composition, parce que le sujet me plaisait et sans me préoccuper des moyens d’exécution. Maintenant que je l’ai terminée, je crois qu’elle produira de l’effet dans un grand concert. Je vais bientôt partir pour Munich, où l’on me propose d’écrire un opéra. Je serais bien heureux, si je rencontrais dans ce pays le poète que je cherche. »

Mendelssohn n’a cessé de caresser l’idée de composer un opéra sur un sujet de son choix, et jamais son vœu n’a pu se réaliser complètement. Nous laisserons encore une fois le voyageur parcourir lentement et pédestrement la Suisse, où son cœur, son imagination et ses instincts poétiques trouvent amplement de quoi se satisfaire. Il décrit avec-amour et un enthousiasme sincère tous les sites pittoresques qu’il aperçoit, dessine au crayon les chalets qu’il visite, compose des chansons sans paroles, et lit avec ravissement le Guillaume Tell de Schiller sur les lieux mêmes où se passa la scène de ce beau drame. « Aujourd’hui, écrit-il d’Engelberg, j’ai composé dans ma tête le morceau symphonique que l’orchestre devrait jouer à la fin du premier acte de la pièce de Schiller. Il m’est survenu bien d’autres idées encore, que je voudrais pouvoir exécuter. Il y a tant de choses nouvelles à faire dans ce monde ! » Il écrit encore à un ami, Guillaume Taubert : « J’ai une envie démesurée de composer un opéra, et je n’aurai de repos que lorsque ce désir sera satisfait. Je suis tellement attiré