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un pareil sujet, Mendelssohn n’est pas à l’aise, et que son oreille, habituée aux modulations ardentes de la musique moderne, a de la peine à se faire aux formes solennelles de la mélopée ecclésiastique. Toutefois je ne puis résister au désir de mettre sous les yeux des lecteurs un passage curieux de cette même, lettre à Zelter, où Mendelssohn juge la grande question de la musique religieuse au point de vue de l’art moderne. « Je ne puis le cacher, j’ai souvent souffert d’entendre les plus belles paroles de la Bible défigurées par une mélodie vague, monotone et sans accent. Ils répondent à ce reproche : « C’est du canto-fermo, c’est du plain-chant. » Eh ! que m’importent le nom et l’antiquité de la chose ? Si dans le siècle barbare de saint Grégoire on sentait comme cela, ou si on n’a pu mieux s’exprimer, ce n’est pas une raison pour que nous suivions les erremens du passé. J’ai été bien souvent indigné d’entendre à la chapelle Sixtine le mot pater orné d’un gruppetto, et le pronom meum surmonté d’un trille. Est-ce là de la musique religieuse ? » Mais il dit aussi à ce même Zelter : « J’ai assisté à la cérémonie touchante de l’adoration de la croix. On place un christ au milieu de la chapelle, et tout le monde, après avoir ôté sa chaussure, va se prosterner aux pieds du symbole divin et l’embrasse. Pendant que s’accomplit cet acte de foi, le chœur chante les improprii de Palestrina. Après avoir entendu plusieurs fois cette composition exquise, il me semble que c’est ce que Palestrina a fait de mieux. L’exécution en est parfaite et d’une douceur pénétrante. Les chanteurs font ressortir chaque nuance sans interrompre le cours harmonieux de l’ensemble. Ce chant dure pendant toute la cérémonie, qui s’accomplit dans le plus grand silence. C’est vraiment très beau (wirklich herrlich). »

Ainsi parlé de la musique de Palestrina un jeune et grand artiste allemand que son éducation n’avait pas préparé à comprendre des effets d’une si sublime simplicité, il se loue d’avoir éprouvé dans la chapelle Sixtine, pendant l’exécution de ces improprii de la pénitence, l’émotion profonde qu’avait ressentie Goethe à la fin du XVIIIe siècle. Osons dire ce que ni Mendelssohn ni Goethe peut-être n’auraient voulu admettre : c’est que le génie de Palestrina et la forme naïve et sereine où il s’est révélé à la fin du XVIe siècle sont, devant Dieu et devant les hommes, bien supérieurs aux profondes et vastes combinaisons de Sébastien Bach. Quel que soit l’état de dépérissement où se trouvent aujourd’hui l’art religieux à Rome et surtout la musique de la chapelle Sixtine, ces débris vénérables d’un passé glorieux méritent encore d’exciter l’intérêt des connaisseurs. Une femme distinguée, dont je n’aime guère cependant ni l’esprit ni la piété, fastueuse et aristocratique, Mme Swetchine, parle en ces termes de la musique qu’elle a entendue sous les voûtes peintes par Michel Ange : « Vous me demandez si j’ai été contente de la semaine sainte ? J’en ai admiré la pompe ; mais l’imagination devine ou dépasse, si aisément tout ce qui est de la magnificence, que la surprise n’a rien ajouté à mon admiration, si j’en excepte la musique, dont le caractère solennel et religieux et l’étonnante exécution sont au-dessus de tout éloge. Cette musique fait rêver avec Pythagore à l’harmonie des corps célestes et à toutes les merveilles qu’on leur attribue dans les premiers âges du monde. C’est vraiment sublime, et le sublime du langage des anges. »