Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 40.djvu/1028

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

comme un homme qui porte un monde nouveau dans sa tête. Il parle avec exubérance de Schiller, de Goethe, de Beethoven, et il écrit les choses les plus misérables. Il est rempli d’une vanité si ridicule et il s’exprime avec tant de dédain sur Haydn et sur Mozart, que je doute fort de son prétendu enthousiasme pour Beethoven et pour Gluck, dont il me fatigue sans cesse les oreilles[1]. » Je ne doute pas que les lecteurs de la Revue n’aient reconnu l’original de ce portrait fidèle. Mendelssohn, Robert Schumann, tous les musiciens d’un mérite incontestable, l’ont jugé comme nous l’avons fait bien souvent ici.

Une lettre très intéressante pour l’objet qui nous occupe est celle du 4 avril 1831, où Mendelssohn rend compte des cérémonies de la semaine sainte et du chant qu’il a entendu à la chapelle Sixtine. C’est ici qu’il importe de ne pas oublier que c’est un Allemand qui parle, un Allemand du nord nourri de la forte harmonie de l’école des Bach, et dont l’oreille est habituée aux plus vastes combinaisons de la fugue et du contre-point. Encore une fois, c’est un scolastique moderne, un dialecticien juif et protestant qui va juger la grâce enfantine d’un Pérugin, l’onction attendrissante d’un Fra-Angelico, l’harmonie divine, mais simple et consonnante, d’un Palestrina ; enfin c’est un blond Germain élevé dans la forêt sombre où il a entendu le cor enchanté de la légende, c’est une imagination à la Shakspeare que les fées ont bercée sur leurs genoux, une âme remplie d’échos mystérieux et de divins pressentimens, c’est l’auteur du Songe d’une nuit d’été et de la Walpurgisnacht qui va juger les monumens d’une civilisation lumineuse, profonde mais précise, et révélant l’infini sous une forme belle, simple et accessible à tous.

Voilà Mendelssohn dans la chapelle Sixtine, où, pendant plusieurs jours de suite, il assiste aux belles cérémonies qui s’accomplissent dans ce sanctuaire magnifique de la papauté et du catholicisme triomphant. « Je ne vous parlerai pas en détail de tout ce que j’ai vu et entendu, écrit-il le 4 avril 1831, je veux seulement essayer de vous donner une idée de l’ensemble de ce beau spectacle, sur lequel je n’avais aucune notion. » Il décrit ensuite les évolutions des ministres de Dieu, la distribution des palmes, la marche du pape, qui, précédé de ses cardinaux, s’avance vers le trône qu’on lui a préparé. Le chœur à l’unisson qu’on chante pendant ce défilé de la cour pontificale, entonné d’abord avec force, s’amortit peu à peu par l’éloignement des chanteurs qui suivent le cortège. Un second chœur éclate tout à coup dans la chapelle, qui fait écho à celui qui s’est éloigné, et les deux théories se réunissent ensuite et forment un ensemble qui frappe Mendelssohn. « On dira ce qu’on voudra, dit-il, mais cet effet est beau, quoiqu’on puisse le trouver un peu monotone. » Il parle aussi avec un sentiment assez juste du chant des psaumes et de celui des Lamentations de Jérémie, dont il apprécie bien la monotonie solennelle. Quant au fameux Miserere d’Allegri, sur lequel Halévy a écrit des naïvetés, Mendelssohn en loue la haute simplicité. « Les premières mesures de ce morceau célèbre, dit-il, qu’on chante pianissimo, ont produit sur moi une vive sensation. Le reste m’a paru médiocre,

  1. Voyez page 120.