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musique religieuse, que je leur enverrai sans me faire connaître. L’idée d’entendre chanter par deux pieuses catholiques la composition d’un barbaro Tedesco me fait sourire. J’ai déjà dans la tête le plan de ce morceau, ainsi qu’un choral de Luther pour la semaine sainte. Après le our de l’an, je veux m’occuper de musique instrumentale, écrire aussi quelque chose pour le piano et terminer peut-être l’une ou l’autre des deux symphonies que j’ai commencées. » On voit que Mendelssohn ne perdras son temps, et qu’au milieu de tant de merveilles et des nombreuses distractions qu’il trouve à Rome, il pense à l’avenir, et il édifie son œuvre. Introduit chez M. Horace Vernet, qui dirigeait alors l’école française, Mendelssohn parle de ce peintre célèbre en termes fort aimables.

« Il faut, ma chère mère, écrit-il le 17 janvier 1831, que je te fasse part d’une bonne fortune qui vient de m’arriver et qui te fera aussi bien plaisir. J’ai été l’autre jour chez Horace Vernet, où j’ai joué du piano devant un petit nombre de personnes qui se trouvaient dans son salon. Il m’avait dit, avant que je ne me misse au clavier, qu’il avait une grande admiration pour le Don Juan de Mozart. J’eus alors l’idée de changer le morceau que je me proposais de lui faire entendre, et qui était le Concert-Stuck de Weber, et je me mis à improviser sur différens motifs du chef-d’œuvre de Mozart. Il fut ravi de mon intention et m’en témoigna chaudement sa gratitude. Un instant après il me dit : « Faisons un échange, car, moi aussi, je sais improviser. » Comme je paraissais désireux de connaître son talent en ce genre : « C’est un secret, » me répondit-il, et il disparut. Revenant à moi quelques minutes après, il me conduisit dans une autre chambre, où il me montra une toile toute préparée pour recevoir des couleurs. » Si vous avez un peu de temps à perdre, me dit-il, je fixerai vos traits sur cette toile, et vous pourrez la rouler ensuite et l’envoyer à vos parens. » J’acceptai avec joie sa proposition, et je ne puis vous exprimer tout le bonheur que j’ai éprouvé en me voyant accueilli avec tant de bienveillance par un tel artiste. » Il ajoute quelques lignes plus bas : « Le soir, on se mit à danser, et il fallait voir alors Mme Louise Vernet, suspendue au bras de son père, bondir sur un rhythme de saltarelle ! Elle se dégage soudain, prend un tambourin sur lequel elle frappe des coups périodiques et s’élance comme une muse de la Grèce. Ah ! que j’aurais voulu être peintre pour fixer une si charmante image ! » On sait que Mme Louise Vernet, dont parle ici Mendelssohn, est devenue Mme Paul Delaroche, dont tout Paris a pu admirer la rare distinction.

Parmi les artistes étrangers avec qui Mendelssohn se trouva en relation à Rome, il mentionne deux jeunes compositeurs français, deux lauréats de l’Institut. Le nom de ces messieurs a été probablement effacé par l’éditeur des lettres ; mais j’ai reconnu l’un d’eux au jugement très juste qu’en porte le musicien allemand. « Les deux Français dont je t’ai déjà parlé, écrit-il à sa sœur le 29 mars 1831, sont venus encore aujourd’hui me proposer une flânerie. Ce sont deux originaux peu amusans, dont la conversation est ou profondément triste, ou d’une vulgarité désespérante, selon le degré de sérieux qu’on accorde à leurs paroles. M. *** respire, digère et dort sans posséder une étincelle de génie et de talent. Il se drape, il se pose fiérement