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parti sur ces événemens à mesure qu’ils s’accomplissaient, nous n’avions voulu, ni à un dépit passager ni à un esprit de taquinerie puérile, rien sacrifier des principes supérieurs et des sympathies naturelles du libéralisme.

Rappelons sommairement, — cette récapitulation est en ce moment opportune, — les circonstances décisives où l’on était libre de s’engager ou de ne pas s’engager dans la question italienne et les séries de conséquences nécessaires qui ont découlé des résolutions prises.

La guerre de 1859 a eu sans doute des causes naturelles dans l’état d’exaspération où la domination odieuse de l’Autriche avait depuis si longtemps poussé les Italiens. Cependant on ne saurait contester que la guerre, en tant qu’elle a eu lieu à cette date et non à une autre, a été voulue. Ou pouvait ne pas la faire alors ; on pouvait l’ajourner. Ceux qui la résolurent furent sans doute des hommes rares par le courage de la volonté, des hommes d’une supériorité marquée. Ils avaient bien le sentiment de l’ascendant qu’ils pouvaient exercer sur les destinées de leurs contemporains. M. W. de La Rive, dans le livre si intéressant, tout rempli de curieuses confidences, qu’il vient de publier sur la vie de son illustre ami et parent M. de Cavour, cite un mot prononcé à Plombières dans ces entretiens où la guerre à bref délai fut décidée, un mot qui prouve bien la confiance qu’avaient en eux-mêmes les suprêmes acteurs. « Voici, dit-il, une anecdote qui a le mérite de l’authenticité ; elle est du séjour de Plombières, et renferme aussi un élément inconnu. — Savez-vous, dit un jour l’empereur à Cavour, qu’il n’y a en Europe que trois hommes, nous deux, puis un troisième que je ne nommerai pas ? » N’essayons pas de dégager l’inconnu ; la courtoisie nous permet peut-être de supposer que ce mystérieux troisième homme de l’Europe est lord Palmerston : nous n’en voudrions pourtant pas. jurer. Tout ce que nous voulons induire de l’anecdote, c’est que les éminens interlocuteurs de Plombières, dans leurs hardies préméditations, ne doutaient point d’eux-mêmes. Personne assurément ne nie leurs droits à une telle assurance. Toutefois nous sommes de ceux qu’un scrupule arrête devant ces grandes initiatives : il nous semble qu’au temps où nous vivons il ne faudrait pas que deux ou trois hommes, si grands qu’ils soient, si autorisés qu’ils puissent être à se considérer comme n’ayant pas leurs égaux, prissent sous leur seule responsabilité de si gigantesques déterminations ; il nous semble que les nations intéressées dans les conséquences d’actes si graves devraient être consultées de très près, et que les initiateurs n’auraient qu’à gagner à soumettre leurs plans au débat préalable le plus large et le plus sincère. C’est cette réserve que nous avons maintenue pour notre compte jusqu’au moment où la guerre a été déclarée.

La guerre de 1859 n’ayant pas été le résultat inévitable de la force des choses, ayant été voulue, il faut avouer que ses auteurs ont dû consentir d’avance aux conséquences logiques de cette guerre. Nous n’insisterons que sur deux de ces conséquences qu’il était impossible de se dissimuler à soi-