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l’artillerie des Russes, et au mois de mars de cette année même, lorsqu’il sembla que les dix canons du Merrimac allaient avoir raison dans une après-midi de toute une flotte en bois.

Après de pareils exemples, il n’est pas étonnant que le canon Paixhans conserve encore dans le public une réputation qui pourtant ne peut plus se soutenir en présence des faits nouveaux. En Amérique, il paraît qu’on n’est pas encore tout à fait désabusé à ce sujet, car on continue à y employer sur une grande échelle les Dohlgreen, les Columbiades et autres imitations du canon Paixhans ; il est à penser cependant que l’on doit commencer à revenir de cette erreur, instruit comme on a dû l’être par la rencontre du Merrimac et du Monitor, qui ont pu se combattre bord à bord pendant plusieurs heures sans se faire presque aucun mal. Si imparfaitement cuirassés qu’ils fussent tous deux, ils sont sortis du combat presque sans blessure, et cela n’a rien qui doive surprendre quand on réfléchit que la puissance du canon Paixhans était en raison même de la faiblesse de pénétration de ses projectiles, qu’il avait été calculé pour cela par son inventeur, et le général lui-même avait une conviction si bien formée sur ce point, qu’il n’a cessé pendant toute sa vie de prêcher l’emploi des cuirasses de fer comme le seul moyen de réduire à néant sa propre invention.

Le remède est souverain : les projectiles creux du canon-obusier, et il n’en peut pas tirer d’autres, se réduisent en poussière contre des cuirasses même peu résistantes, absolument comme le feraient les bocaux de cristal dans lesquels les enfans s’amusent à voir nager des petits poissons rouges. La force de choc ou de pénétration qui était suffisante pour entamer avec de si terribles effets les murailles de bois est nulle contre les plaques de fer.

Faut-il donc retourner aux anciens canons, qui, on le sait, pouvaient être accusés, dans le tir contre les murailles en bois, de dépasser souvent le but utile par excès même de puissance ? C’est le parti qu’ont pris les Anglais pour l’armement du Warrior ; mais on doit croire que c’est en attendant mieux, car des expériences concluantes ont démontré que les plus grosses pièces des anciens systèmes étaient sans effet, même à courte distance, contre les plaques de 12 centimètres. Leurs projectiles pleins et en fonte se brisent en morceaux inoffensifs, ceux de fer forgé qui ont été essayés s’écrasent sur les cuirasses et ne les pénètrent pas. Les Anglais ne sont parvenus à percer des plaques de 4 pouces l/2 avec un canon à âme lisse et à boulet sphérique qu’en construisant tout exprès un canon gigantesque, long de 14 pieds, du poids de 12 tonnes, du calibre de 156, se tirant avec une charge de 50 livres de poudre, et qui encore n’a donné de résultat qu’à la distance de 200 yards