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demande si, sciemment ou à son insu, sa pensée principale n’a pas été de combattre ou d’émettre certaines idées religieuses. À l’égard de la foi, il ne montre pas seulement un esprit indépendant et hardi ; il m’apparaît aussi comme une intelligence qui traverse une phase particulière, qui est en train de s’éloigner des croyances chrétiennes. Lorsqu’au lieu d’en être encore à chercher et à découvrir ce que la raison peut objecter à la foi, on a déjà terminé cette besogne, et que les objections ont perdu l’attrait de la nouveauté, on ne doute peut-être pas moins, mais on est moins satisfait de son doute. On l’a en soi, il est ce qui règne dans l’esprit, et par conséquent ce qui ne peut manquer, comme tous les pouvoirs régnans, de provoquer l’opposition. En fait d’idées aussi, posséder, c’est apprendre par expérience les inconvéniens et les insuffisances de ce que l’on possède. Toujours est-il que pour nous cette attitude de l’auteur à l’égard de la religion n’est pas ce qu’il y a de moins curieux dans son livre. Je ne voudrais pas grandir M. Smith en le présentant comme un type du siècle, comme une expression des formes nouvelles que prend de nos jours en Angleterre l’éternelle révolte de la raison contre la foi, — et pourtant il est certain que l’auteur de Gravenhurst se ressent largement de certains courans de pensées qui circulent autour de lui, et dans un autre sens la nature des convictions religieuses qu’il avait sous les yeux n’a pas moins marqué en creux sur ses idées. Notre siècle est loin de l’époque de Voltaire, et l’Angleterre protestante n’est pas moins éloignée de la France catholique. Avec M. Smith, il ne s’agit plus d’une polémique décidée contre l’influence sacerdotale : elle ne signifierait rien sur le sol anglais. Il ne s’agit pas davantage de cette incrédulité du XVIIIe siècle qui tournait directement à l’irréligion et volontiers à l’immoralité : cette philosophie-là a fait son temps, et ce qu’il en reste n’est qu’une vieillerie attardée.


« Depuis mon retour en Angleterre (fait dire l’auteur au général Mansfield), rien ne m’a plus frappé que le sérieux et la ferveur qui s’étaient introduits de part et d’autre, dans les polémiques religieuses ; mais ce qui m’a paru tout à fait digne d’attention, c’est le mouvement qui tendait à rapprocher une partie de l’église chrétienne, — celle qui y représente la critique et la philosophie, — et le camp opposé des penseurs qui ne s’en rapportent qu’à la raison. Il m’a semblé qu’il existait un petit noyau de chrétiens qui étaient presque résignés à abandonner le principe de la révélation, à la seule condition d’être assurés que certaines vérités importantes de la religion seraient généralement acceptées comme reposant sur la raison humaine. D’un autre côté, il s’est produit parmi nous un nouveau scepticisme, scepticisme grave et pieux, qui sent sa responsabilité envers Dieu et envers l’homme, et qui se demande avec anxiété comment il prendrait soin de la société, si elle se trouvait jetée entre ses bras. Je n’ai pu m’empêcher