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Quant au directeur, il caresse encore son rêve de colonisation et demande au gouvernement de vouloir bien lui confier désormais « des orphelins abandonnés et des mendians des deux sexes. » Si l’on dévoue ces malheureux à ses expériences civilisatrices, il compte relever encore sa ferme-modèle.

La seule tentative de colonisation qui ait à peu près réussi a été entreprise sous les auspices du baron de Maua, à l’initiative duquel les populations amazoniennes devaient déjà l’introduction des bateaux à vapeur sur leur fleuve. Près de la ville de Serpa, qui occupe une situation des plus heureuses sur la rive gauche de l’Amazone, et non loin de l’embouchure du Rio-Madeira, se trouve une colonie industrielle qui produit un effet singulièrement inattendu au milieu de cette nature indomptée où l’homme a laissé encore si peu de traces de sa puissance. À travers le feuillage épais des arbres, on aperçoit la haute cheminée de l’usine et ses jets de vapeur blanchâtre ; de loin on entend déjà le gémissement des scies qui fendent le bois, le rondement monotone de la locomobile qui pétrit l’argile et comprime les briques. On se croirait transporté en Europe ou dans l’Amérique du Nord, et le bonheur qu’on éprouve en sortant des selvas pour entrer dans l’usine enfumée égale au moins la joie que fait ressentir la vue de quelque gorge sauvage dans notre pays si bien mis en culture. Les recettes de l’établissement industriel, que dirige un ingénieur allemand, ne suffisent pas encore pour couvrir les frais ; cependant l’usine se trouve dans les meilleures conditions de réussite. Les bois qu’on veut mettre en œuvre sont amenés par le flot même de l’Amazone jusque sur la rive, et l’on n’a qu’à choisir les troncs les plus forts et les plus sains, les essences les plus précieuses, dans cet immense approvisionnement naturel sans cesse renouvelé. D’ailleurs aucune localité, si ce n’est Manaos, n’occupe une situation plus favorable que Serpa pour l’exportation de ses produits soit vers le Rio-Negro, soit vers le Solimoens ou le Madeira, ces trois fleuves gigantesques qui forment au centre de l’Amérique du Sud un si magnifique croisement de bassins. En outre les fondateurs de la colonie de Serpa n’ont pas eu le tort, comme ceux de Notre-Dame-do-O’, d’assigner les durs travaux à des Allemands au teint frais, aux cheveux blonds, proies désignées d’avance à la mort. Comprenant mieux leurs intérêts, ils ont confié la grosse besogne matérielle aux Tapuis, aux métis, aux nègres du pays, enfin à quelques engagés chinois venus de Macao.

Les paysans de race blanche établis à Cuba et à Porto-Rico, les islingues ou isleños[1], qui travaillent la terre dans les Antilles et en

  1. Isleños, insulaires (en portugais ilheos ou ilhotes). En Amérique, on désigne ainsi les émigrans des îles de l’Atlantique appartenant au Portugal et à l’Espagne.