Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 39.djvu/955

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

communications, et les eaux du Rio-Negro, animées par un considérable trafic à l’époque des missions, ne portent plus aujourd’hui que de rares pirogues indiennes, et parfois le canot du gouverneur de Cucuhy. La ruine complète de l’œuvre des jésuites doit-elle être attribuée à leur exil et à la mise en liberté des Indiens, ou bien à la démoralisation que la servitude laisse toujours après elle ? Telle est la question que chacun peut résoudre à son gré. Il est certain seulement que de toutes les parties de l’Amérique latine ravagées par les guerres civiles ou les maladies épidémiques, celles qui présentent l’aspect le plus misérable sont les régions si admirablement placées qui ont été le théâtre des entreprises de la compagnie de Jésus.

Depuis l’introduction de la navigation à vapeur sur le fleuve des Amazones, on a tâché de créer plusieurs fois des colonies agricoles, afin de donner aux Indiens purs et métis l’exemple du travail ; mais ces tentatives, faites sans discernement et sous les auspices de propriétaires d’esclaves mal disposés envers les travailleurs libres, n’ont en général servi qu’à grever le budget de l’état. La compagnie des bateaux à vapeur s’était engagée à fonder successivement sur les bords du fleuve, et dans un délai de dix années, douze colonies comprenant chacune 600 habitans. C’était condamner à mort 7,200 Européens qu’on eût importés à grands frais, en dépit du climat. Heureusement les premières tentatives faites par la compagnie aboutirent à un si complet insuccès, que le gouvernement dut lui permettre de résilier le traité, tout en lui abandonnant la propriété de quatre-vingt-douze lieues carrées de terrain concédées pour la fondation des colonies. De son côté, le ministre de la guerre faisait inaugurer un nouveau système de colonisation par la création d’un village agricole militaire, près de la ville d’Obidos. Ce village, pour lequel le congrès brésilien a souvent voté de fortes allocations, est toujours pourvu d’un nombreux état-major grassement rétribué ; mais il ne comptait que deux colons lors de la visite de M. Avé-Lallemant.

Bien plus lamentables encore sont les résultats obtenus à la ferme-modèle de Notre-Dame-do-O’, située dans une île qu’entourent les bras de la rivière de Para. La position de cette colonie est d’une admirable beauté. Les habitations s’élèvent sur le bord du fleuve, qui roule lentement ses : eaux dans un lit de 6 kilomètres de large ; vis-à-vis se montre la cité de Para, qui doit à son éloignement un aspect vraiment grandiose ; autour des maisons de la colonie se pressent les grands arbres de la forêt, chargés d’orchidées, de bignonias et de lianes de toute espèce : ça et là les palmiers jaillissent en bouquets de cette mer de verdure et de fleurs ; mais le contraste que l’œuvre de l’homme forme avec cette nature si magnifique laisse