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déjà pour payer les frais de l’établissement. En outre les petits musiciens, diriges par un mulâtre enthousiaste, peuvent se vanter d’être sans contredit les premiers artistes de la ville capitale de l’immense province d’Amazonas.

Heureusement l’éducation des Tapuis, si négligée par l’administration, se fait d’une manière toute naturelle, par le procédé lent, mais sûr, des croisemens. Les mariages entre hommes blancs et femmes de sang mêlé, entre hommes de sang mêlé et femmes indiennes, amènent sans cesse de nouvelles recrues à la vie civilisée. Dans le nord du Brésil, où la pureté du sang n’est pas, comme aux États-Unis, soumise à un examen sévère, il suffit d’un petit nombre de générations pour blanchir complètement une famille issue en partie de souche indienne. Sous la double influence du croisement et du nouveau genre de vie, la nuance de la peau s’éclaircit d’une manière prodigieuse dans l’espace d’une génération, et nombre de mamalucas, filles de blancs et de femmes tapuis, ont la peau d’une délicatesse et d’une transparence toutes caucasiennes : il leur reste seulement je ne sais quel air de gazelle effarée, et parfois dans le regard une expression mélancolique, comme si une voix secrète les rappelait à la liberté des forêts ; mais elles n’en sont pas moins définitivement rachetées de la vie sauvage et désormais accessibles à tous les progrès auxquels, sans le croisement, elles seraient restées étrangères. Ainsi de mariage eh mariage l’ancienne population aborigène se délivre de sa barbarie première et perd même jusqu’à son nom pour se fondre en une même race avec les envahisseurs du sol. De ce mélange naît un nouveau peuple amazonien chez lequel le sang indien prédomine, mais que les mœurs européennes pénètrent chaque jour davantage. Telle est la solution naturelle de l’antagonisme des races : chaque naissance contribue pour sa part à la réconciliation finale, et dans un pays comme le Brésil, où les familles se distinguent par une prodigieuse fécondité, on peut espérer que l’œuvre d’union sera consommée à une époque relativement, prochaine. Là tous les jeunes gens se marient ; les générations se succèdent rapidement, et l’on voit souvent des femmes accompagnées de cinq ou six enfans à un âge où la plupart des jeunes Françaises commencent à peine à songer sérieusement au mariage[1]. Lorsque l’hygiène, aujourd’hui si négligée dans les provinces

  1. Il en est de même dans plusieurs autres parties du Brésil, et nous croyons devoir à ce sujet rapporter un passage peu connu du grand ouvrage de MM. Spix et Martius : « En 1780, on ne comptait que trois femmes à Contendas (province de Minas-Geraës, vallée du Rio San-Francisco) ; on en comptait en 1820 des milliers. Une femme de Contendas, qui vient à peine de dépasser la cinquantaine, possède une descendance de deux cent quatre personnes vivantes ; une vieille dame mariée à un homme de son âge a enfanté à soixante-dix ans révolus trois jumeaux qui vivent encore. Il n’est pas rare de voir une mère de vingt ans entourée d’une famille de huit ou dix enfans. On ne cite pas un seul exemple de couches malheureuses. »