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de nombreuses légions de carapanas, mosquitos, maruim, pium, borachudos et fincudos, — enfin par toutes ces bêtes et bestioles qui rendent intolérable le séjour des contrées tropicales non encore assainies. Ce sont en réalité pour le colon des ennemis bien plus terribles que les serpens, les pumas, les jaguars, et les Anaras anthropophages. Toutes les régions de la zone tropicale offrent des obstacles de même genre au peuplement et à la culture ; mais l’Amazone se défend en outre contre le travail colonisateur des hommes par sa puissance » par la grandeur de ce qu’on peut appeler son œuvre géologique. Avant l’introduction des bateaux à vapeur sur le fleuve des Amazones, une embarcation mettait cinq mois entiers pour remonter de la ville de Para jusqu’à la barre du Rio-Negro ; il lui fallait cinq autres mois pour atteindre la frontière du Pérou en luttant contre la force du courant. Un voyage autour du monde, sur les flots de la mer que soulèvent tour à tour des vents venus de tous les points de l’horizon, était alors plus court que la remonte de l’Amazone, entreprise à la faveur du vent alizé qui souffle régulièrement dans la direction de l’ouest.

Terrible par son courant de 4 à 8 kilomètres par heure, le fleuve brésilien ne l’est pas moins par l’intensité de ses crues périodiques. Régulier dans ses allures comme le Nil, il commence à croître vers le mois de février, alors que le soleil, dans sa marche vers le nord, fond les neiges des Andes péruviennes et, ramène au-dessus du bassin de l’Amazone la zone de nuages et de pluies qui l’accompagne. Sous l’action combinée de la fonte des neiges et des pluies torrentielles, la crue s’élève graduellement jusqu’à 12 mètres au-dessus de l’étiage ; les îles basses disparaissent, le rivage est inondé, les lagunes éparses s’unissent au fleuve et forment de véritables mers intérieures ; les animaux cherchent un refuge au haut des arbres, et les Indiens qui habitent la rive campent sur des radeaux. Vers le 8 juillet, lorsque le fleuve commence à baisser, les riverains ont à lutter contre de nouveaux dangers ; l’eau, rentrant dans son lit, mine en dessous ses bords longtemps détrempés, les ronge lentement, et tout à coup des masses de terre de plusieurs centaines ou de plusieurs milliers de mètres cubes s’écroulent dans les flots, entraînant avec elles les arbres et les animaux qu’elles portaient. Ces érosions rapides s’opèrent si fréquemment que les arbres de la berge n’atteignent jamais leur développement complet, et les voyageurs qui, naviguent sur le fleuve des Amazones ne peuvent apercevoir qu’un petit nombre de ces troncs aux dimensions colossales qu’ils s’attendent à contempler. C’est donc une tentative périlleuse que la culture d’un champ sur la rive, et, sous peine de voir ses défrichemens et sa demeure s’abîmer dans quelque éboulis, le colon ne peut s’établir près du fleuve sans en