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lianes fleuries. Et que de plantes utiles dans cet immense fouillis de verdure où l’on compte jusqu’à mille espèces appartenant à la famille des papilionacées ! Ce sont d’abord vingt-trois sortes de palmiers, toutes bienfaisantes par la sève, l’écorce ou les fruits ; puis viennent le cacaoyer, le cafier, le cotonnier, l’oranger, l’arbre à pain, le manguier, le bois de brésil, qui a donné son nom à l’empire, le rocou, le cèdre, le jacaranda, le seringa, la salsepareille. À côté de ces plantes connues de tous, il en croît d’autres par centaines qui ne sont pas moins utiles pour l’alimentation ou la guérison de l’homme, la construction des navires, la confection des meubles précieux et les innombrables besoins de l’industrie.

La première pensée qui se présente à l’esprit est que ce fleuve si admirablement pourvu d’affluens, cette masse d’eau qui arrose des régions si fertiles et si vastes, qui forme une espèce de détroit entre le nord et le sud du continent colombien, doit être une des voies les plus suivies par le commerce. On s’attend à voir se grouper sur ses bords de nombreuses populations, et chacun de ses affluens lui apporter sans cesse habitans et produits. Puisque le bassin du Yang-tse-kiang, ceux du Gange, de l’Euphrate, du Nil, du Mississipi, ont produit chacun sa civilisation, on croirait peut-être qu’il en surgit une nouvelle dans l’intérieur de ce magnifique bassin fluvial de l’Amazone, le plus beau qui soit au monde. Et cependant il n’en est rien. Les régions fertiles qu’arrose le fleuve brésilien sont les plus désertes de l’Amérique : elles sont occupées en grande partie par des forêts immenses que le pied de l’Européen n’a jamais visitées. Plus de trois siècles se sont écoulés depuis qu’Orellana descendit ce cours d’eau avec cinquante compagnons ; mais on ne retrouve plus les villages qui s’élevaient à chaque promontoire de la rive ; les cent cinquante tribus qui les peuplaient ont disparu : l’homme blanc n’a passé sur ces eaux que pour faire la solitude devant lui. L’Amazone, ce fleuve si remarquable dans l’histoire de la terre, est encore presque nul dans l’histoire de l’homme.

Nombreuses sont les raisons matérielles qui ont dépouillé jusqu’à nos jours les contrées amazoniennes du rôle historique qui leur revient de droit. D’abord, et quoi qu’en dise la voix d’ordinaire si compétente du capitaine Maury, il est certain que le climat de ces régions équatoriales, à la fois chaudes et humides, est le plus souvent mortel à tout étranger qui n’est pas trempé comme l’acier ou ne règle pas son genre de vie conformément aux lois d’une hygiène sévère : la fièvre jaune et d’autres fièvres paludéennes s’élèvent comme des brumes de la surface des marais et rampent sur le sol en empoisonnant les hommes qui les respirent au passage. Protégés par leur atmosphère viciée contre l’envahissement rapide des colons, le fleuve et la plupart des affluens sont encore défendus par