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passent pas moins par des évolutions parallèles à celles du grand peuple de l’Amérique du Nord. Dans les deux contrées, le blanc s’est d’abord trouvé en contact avec l’indigène, et, pour pénétrer dans l’intérieur, il l’a poussé cruellement devant lui. Au Brésil comme aux États-Unis, il s’est fait suivre par le noir esclave pour lui faire défricher le sol ; dans le continent du sud, comme dans celui du nord, s’est formée une aristocratie de planteurs dont le pouvoir repose sur le monopole d’un petit nombre de denrées, et, sous la pression des mêmes causes, la féodalité brésilienne peut avoir à subir tôt ou tard les redoutables conséquences subies aujourd’hui par la confédération esclavagiste. Ce sont là des faits qui donnent un intérêt tout spécial aux ouvrages récemment publiés sur l’empire brésilien, son état actuel et ses destinées. De tous ces ouvrages, le plus remarquable est celui de M. Avé-Lallemant, voyageur modèle, qui a séjourné plus de vingt années au Brésil et qui l’a parcouru dans tous les sens. M. Avé-Lallemant appartient à cette pléiade de savans d’outre-Rhin qui ont élevé les voyages à la hauteur d’une mission sociale. Préparés à leur œuvre par les plus fortes études, à la fois géographes, botanistes, éthnologistes, médecins, ces hommes, auxquels aucun domaine de la science n’est étranger, étudient à la fois la terre, l’homme, les institutions. L’auteur de Süd-Brasilien et de Nord-Brasilien ne se recommande pas seulement par la science, il se distingue aussi par de rares qualités d’écrivain : sa phrase, souple, vivante, émue, n’a rien de cette lourdeur et de cette complication verbeuse qui embarrassent si souvent le style de ses compatriotes ; ses impressions poétiques, toujours du meilleur aloi, sont rendues en termes pénétrés d’un charme profond ; il entraîne aisément le lecteur, et l’on ne saurait se lasser de contempler avec lui les spectacles gracieux ou magnifiques qu’il décrit tour à tour. Quant au livre de M. Biard, il est rempli de récits agréables et d’observations ingénieuses ; mais son principal mérite est de reproduire par le crayon les paysages dont M. Avé-Lallemant ne peut nous donner l’idée que par la plume. Quelques-uns des dessins de M. Biard sont des chefs-d’œuvre de vérité, et rendent vivement la beauté des régions tropicales : un îlot perdu dans le fleuve, un arbre, une liane lui suffisent pour composer de charmans tableaux.


I

L’empire du Brésil se compose de deux, moitiés complètement distinctes, auxquelles le cap Saint-Roch sert de limite commune. Ce promontoire, qui brise les eaux du grand courant équatorial et le partage en deux fleuves maritimes s’écoulant en sens inverse, divise