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pour des pierres étrusques, il m’avoua que ses cliens n’étaient pas comme moi difficiles et n’y regardaient pas de si près. Me prenant là-dessus en estime et continuant ses confidences, il se plaignait de l’indifférence avec laquelle les étrangers arrivant par hasard jusqu’à Volterra visitaient les ruines étrusques. On lui donnait bien par momens de généreux pourboires ; mais cela ne lui suffisait point, et Ruggiero aurait voulu un peu plus d’attention pour les restes de ses chers Tyrrhéniens. Un archéologue français venu à Volterra quelques années auparavant était le seul qu’il se rappelât volontiers. Cet archéologue lui avait fait la même remarque que moi au sujet de la porte prétendue étrusque, et Ruggiero aurait bien voulu pouvoir arriver à cet esprit de divination. De là de nombreux regrets sur son éducation laissée inachevée.

C’est en compagnie de cet antiquaire manqué que je visitai le musée étrusque de Volterra. La plupart des tombeaux sont remarquables à plus d’un titre, surtout par les bas-reliefs sculptés sur la face antérieure et par les statues couchées ou accoudées qui surmontent le couvercle. Ces statues représentent le personnage défunt : c’est un aruspice, reconnaissable à une boule qu’il tient dans la main, la bulle d’or, qui était aussi chez les Étrusques le signe distinctif du patriciat, ou bien c’est une femme se regardant dans le miroir métallique et tenant un éventail à plumes comme en ont nos belles dames d’aujourd’hui. Dans les bas-reliefs, les dessins représentent souvent un convoi funèbre. Le mort est emporté sur une charrette que les prêtres et les pleureuses accompagnent. L’artiste a su donner aux chevaux un air de tristesse qui plaît, et les pauvres bêtes s’avancent lentement, la tête penchée vers la terre. Les prêtres paraissent moins tristes, et je me rappelai involontairement devant ces naïves sculptures ces vers trop vrais du fabuliste :

Un mort s’en allait tristement
S’emparer de son dernier gîte ;
Un curé s’en allait gaîment
Enterrer son mort au plus vite.

Certains bas-reliefs sont encore plus curieux en ce qu’ils représentent des scènes mythologiques ayant trait à des faits que les Grecs chantèrent plus tard : ainsi les voyages d’IUysse. Je vois encore le pudique héros qui s’est fait attacher au grand mât pour résister aux tentations des sirènes qui nagent voluptueusement autour de son navire.

Tous les bas-reliefs et statues des tombeaux étrusques annoncent l’enfance de l’art ou un ciseau peu exercé. La sculpture du moyen âge a un grand air de parenté avec eux, et quelques-uns portent la trace d’une peinture rouge ou bleue dont on les coloriait.